XIXe siècle : le premier billet en quadrichromie
A la fin du XIXe siècle, les services de la Fabrication des Billets de la Banque de France entament des études techniques pour moderniser les coupures, voulant lutter contre leur plus vieil ennemi, la lithographie, mais surtout contre un procédé qui arrive à maturité, la photographie. Dans la lutte incessante contre les faussaires, la Banque de France essaie d’avoir une avance technologique en étudiant l’impression en quadrichromie. Une nouvelle gamme est alors étudiée, imaginée par de nouveaux artistes, et portée par l’ingénieur Jean Dupont, qui sera nommé Directeur de la Fabrication des Billets en 1896.
En 1891, le célèbre peintre François Flameng est sollicité. Il remet à la Banque deux peintures en grisailles, l’une pour le recto et l’autre pour le verso, destinées à un billet de 1000 Francs. Comme elles ne donnent pas les indications nécessaires à l’impression d’un billet en quatre couleurs, M. Dupont lui demande de transformer en aquarelles, des photographies peu intenses des peintures originales. Les effets de coloration sont réalisés par les impressions superposées de quatre vignettes colorées en jaune, rouge, bleu et bistre. Les trois premières couleurs, par leur superposition, peuvent sensiblement donner les couleurs du spectre, et la dernière a pour but de préciser les silhouettes, et d’indiquer les parties noires ou ombrées.
Des considérations techniques font substituer la gravure au burin de ces quatre vignettes, soit sur bois, soit sur métal, par un système mixte, mélange d’héliogravure et de burin. Cette façon consiste à faire des dessins au trait à grande échelle pour chacune des vignettes afin d’obtenir des héliogravures réduites à la dimension finale du billet, et en dernier lieu à les retoucher manuellement. La principale difficulté de cette technique est de réussir des images parfaitement superposables. Pour y parvenir, la Fabrication des Billets obtient un grand cliché négatif des grisailles. Cette opération a lieu dans une des caves de la Banque centrale, dont une partie est utilisée comme chambre de pose avec un éclairage électrique et l’autre transformée en chambre noire. A partir du négatif, quatre épreuves pour le recto et autant pour le verso sont tirées sur du papier sensible provenant de la maison Blanchet frères et Kléber. Puis elles sont transmises à Jules Robert, graveur qui trace à l’encre de Chine les vignettes de chacune des quatre couleurs. Ce travail terminé, ces épreuves sont plongées dans un bain d’eau iodée, puis dans un bain d’hyposulfite pour faire disparaître toute trace de l’image photographique. Cette tâche se réalise sans crainte de délaver le dessin, l’encre de Chine ayant été préalablement insolubilisée par l’addition d’un peu de bichromate de potasse.
Le coût d’impression recto et verso d’un billet est estimé à 0.00852 Franc par billet pour 0.00811 Franc pour le billet à deux couleurs en circulation.
Surmonter les difficultés
Puis les dessins au trait sont confiés à M. Dujardin, graveur héliographe, qui sous la surveillance permanente d’agents de la Banque, grave des planches en cuivre à l’aide de la photographie et de la morsure chimique. Il livre à la Banque quatre planches pour le verso et quatre pour le recto. Ce travail liminaire nécessite l’intervention du graveur Jules Robert qui se livre à un long et minutieux travail de retouche au burin. De ces planches « mères », la Fabrication des Billets en reproduit à l’identique, à l’aide de la galvanoplastie, pour les installer sur les presses. Mais de nombreuses difficultés de détails, obligent la Banque à modifier complètement son installation galvanoplastique pour être en mesure de toujours opérer dans des conditions identiques. Il faut entourer de précautions particulières la prise des empreintes, étudier l’influence de la température et la composition des bains, l’intensité des courants, enfin modifier le remplissage des clichés. En prenant toutes ces précautions, les services techniques obtiennent des clichés remplissant toutes les conditions souhaitables.
D’autres difficultés surgissent : le choix des couleurs. En effet, la banque doit s’inquiéter de la résistance des couleurs aux réactifs et à la lumière. D’emblée, elle renonce aux couleurs minérales, toutes attaquables, sauf le bleu de cobalt, le vert de chrome et le noir de fumée. Parmi les couleurs organiques, celles qui sont ordinairement employées dans l’industrie ne remplissent pas les conditions indispensables de résistance à ces phénomènes. C’est en utilisant des couleurs nouvelles, peu connues, ou des plus anciennes inutilisées pour des raisons industrielles, que M. Huet, ingénieur à l’imprimerie, détermine celles qui remplissent les conditions nécessaires. Parfois c’est en les mélangeant entre elles, ou avec des couleurs minérales, qu’il est arrivé à réaliser les teintes désirées, avec la résistance exigée.
Un dernier souci, et non des moindres, consiste à posséder des presses capables d’imprimer avec exactitude les quatre couleurs par superposition. Comme il est inenvisageable d’utiliser les presses en blanc installées dans les ateliers, l’ingénieur Dupont trouve chez Édouard Lambert, ingénieur-mécanicien, un type nouveau de presse en quatre couleurs. Il propose des modifications pour répondre aux besoins spécifiques de la Banque. Par une combinaison ingénieuse et simple, il permet d’imprimer quatre vignettes, colorées en jaune, rouge, bleu et sépia, d’un seul tour de cylindre. Cette impression, se fait dans des conditions remarquables de pureté d’impression et de repérage. Le personnel nécessaire n’est pas supérieur à celui qu’exige une presse à blanc. Des essais effectués en 1895, concluent que l’impression de quatre vignettes superposées faite d’un seul coup de presse, sans intervalle de temps permettant le séchage d’une couleur avant l’impression de celle qui la suit, est réalisable qu’à la condition de faire le tirage sur du papier non collé. Il s’agit d’un simple déplacement de fabrication, le collage se réalisant désormais à la Banque centrale alors qu’il se faisait jusqu’alors dans la papeterie de Biercy, située en Seine-et-Marne, avant l’impression. Le coût de son impression recto et verso est estimé à 0.00852 Franc par billet pour 0.00811 Franc pour le billet à deux couleurs en circulation.
Un nouveau billet de 1000 Francs
Lors de la séance du 11 décembre 1895, le Comité donne l’autorisation pour la création d’un nouveau billet de 1000 Francs en réservant l’époque de sa mise en circulation. Le 25 octobre 1897, le Gouverneur permet d’ajouter sur les vignettes déjà imprimées, la date de création et les numéros pour que l’imprimerie soit en mesure de livrer à la comptabilité, les 1 100 000 coupures de ce nouveau type dans un délai de trois mois. Mais l’émission n’est toujours pas autorisée, car il est demandé d’utiliser jusqu’à l’épuisement les stocks de billets de 1000 Francs (Bleu et rose), type 1889, soit environ un an d’émission.
En juin 1898, le Gouverneur consulte le Comité des Billets et propose de garder en réserve la coupure du 1000 Francs Flameng. Il estime qu’il faudrait d’abord terminer la création du billet de 100 Francs, car cette coupure circule d’avantage, étant généralement manipulée par des porteurs moins éclairés. Il trouve inopportun de grever le budget inutilement, sans motif absolument impérieux, au moment où la Banque de France fait face aux frais d’installation de nouvelles succursales.
Dans la séance du 4 novembre 1909 du Conseil Général, M. Seydoux rapporte que le billet de 1000 Francs à quatre couleurs est terminé ; le stock permet de l’émettre quand on le jugera utile. Le moment ne lui paraît pas venu et les contrefacteurs s’attaquent bien rarement à cette coupure trop difficile à écouler dans le public.
En mars 1918, le Gouverneur alarmé par les sorties très importantes de billets de 1000 Francs, signale qu’il prévoit la possibilité de mettre prochainement en circulation la coupure de 1000 Francs à quatre couleurs, adoptée par le Conseil dans sa séance du 2 janvier 1896. Mais cette coupure reste dans les salles fortes de la Banque. Le 28 avril 1927, les 96 000 billets sont incinérés à Chamalières.
Quelques spécimens d’essai, d’une extrême rareté, ont été proposés à la vente.
Le plus beau document connu est un spécimen, non filigrané,
mais signé, et daté de 1898, vendu en 2012.
Article réalisé par Alain Dailly, Président de l’Association Française pour l’Étude du Papier-monnaie