D’après une chronique rédigée au début du XIe siècle par un prélat vénitien nommé Giovanni le « Diacono » (diacre) ou le « Veneziano » selon les sources, la cité de Venise aurait été fondée très exactement à midi, le 25 mars 421 sur l’un des îlots de la lagune vénète coincée entre le lido, une étroite bande de sable qui la sépare de la mer Adriatique, et le marais qui s’est formé il y a 6000 ans avec les sédiments du Pô, de l’Adige et de la Piave. Evidemment, difficile de croire qu’il s’agit de la date exacte de la fondation de Venise mais elle n’en demeure pas moins la date officielle que la ville va commémorer en cette année 2021.
Les véritables origines de Venise
La région de Venise au nord de la mer Adriatique a longtemps été uniquement peuplée de pêcheurs, de marins et de sauniers. Rien ne la prédestinait à devenir une grande puissance. Les Romains ne font aucun cas de cette lagune jusqu’aux premières incursions barbares en Italie du Nord au Ve siècle après la déposition du dernier empereur romain d’Occident, Romulus Auguste en 476. Les Huns et les Ostrogoths attaquent alors les grandes cités romaines pour les piller ou les rançonner et décrivent eux-mêmes cette lagune comme une immensité couverte de roseaux et de vase qu’ils prennent le soin d’éviter pour ne pas y embourber leurs montures. C’est pourtant à cette époque que le chroniqueur de l’histoire de Venise place la fondation de la ville par trois consuls romains venus de Padoue pour y installer un comptoir commercial et une église, celle de San Giacomo.
Les fouilles archéologiques ne confirment pas cette version, en revanche, l’arrivée des Lombards en 568 provoque une importante migration de patriciens romains fuyant les cités antiques de Padoue, de Trévise, d’Aquilée, d’Altino ou encore de Vérone pour trouver refuge dans les marais. Ils espèrent ainsi être à l’abri des incursions des troupes lombardes et obtenir la protection des Byzantins qui fondent l’exarchat de Ravenne en 584. Les premiers Vénitiens vivent éparpillés sur le lido et plusieurs îlots situés aujourd’hui au Nord de Burrano, un petit port de commerce et une église sont construits sur l’île de Torcello en 639 mais la lagune de Venise voit sa population augmenter en 641 lorsque les Lombards s’emparent de la dernière cité byzantine importante au Nord, Oderzo.
Les Byzantins choisissent alors Venise pour accueillir le siège d’un gouvernement politique dépendant de l’Empire. Au VIIe siècle, l’économie de la lagune se diversifie avec le développement de l’artisanat du bronze, du verre ou de la corne. Le comptoir de Torcello reçoit des marchandises venues d’Orient comme des épices, des soieries ou de l’encens qu’ils négocient ensuite avec les royaumes barbares de l’Ouest dont le puissant Royaume Franc.
Un atelier monétaire impérial est alors installé sur l’île d’Héraclée pour frapper des monnaies d’or et d’argent de type byzantin et un duc, ou doge, est désigné pour diriger la cité.
Le Doge Orso, aurait été le premier doge élu en 727 mais il aurait été remplacé par des fonctionnaires byzantins en 751. Les fructueux échanges commerciaux et diplomatiques avec les Francs permettent aux Vénitiens de commencer à se détacher de la tutelle byzantine dès le VIIIe siècle. Un nouveau centre urbain se forme sur les îles centrales de Rialto, dont les « rivus altus » offrent un accostage plus aisé que sur les îles du Nord menacées d’envasement et plus facile à défendre que le lido de Malamocco qui lui, est en contact direct avec la mer Adriatique et les dangers représentés par les navires byzantins, arabes ou encore normands. En 810, les doges de Venise installent le cœur politique de la cité sur Rialto et en tenant tête aux troupes du puissant Charlemagne, ils obtiennent de ce dernier une alliance politique et commerciale qui vient contrebalancer l’influence de Byzance. D’ailleurs, l’Empire Byzantin lui reconnait son indépendance en 814 afin de ne pas perdre son débouché sur les routes commerciales de l’Ouest. Venise devient alors l’intermédiaire privilégié entre l’Empire des Francs à l’Ouest et l’Empire Byzantin à l’Est.
Venise devient ainsi une république oligarchique indépendante dirigée par les commerçants et les artisans qui forment la noblesse de la cité. Le clergé local a la particularité d’être totalement autonome des autres autorités religieuses et d’être entièrement au service de l’Etat. Les évêques sont élus par le Sénat et le doge en désigne le patriarche. Les ecclésiastiques n’ont aucun privilège fiscal, ils payent des impôts et n’en prélèvent pas sur les citoyens de la ville. En revanche, ils contribuent également à l’émancipation de la cité en remplaçant les reliques du Saint patron de la ville, d’origine grecque, Théodore, par celles, plus latines, de Saint Marc d’Alexandrie en 828. Venise peut alors concurrencer Rome et Ravenne sur le plan de l’influence religieuse en Italie et se détacher de l’autorité impériale de Constantinople. Elle abandonne également, l’atelier d’Héraclée et ses frappes byzantines pour le remplacer pour un nouvel atelier localisé à proximité de l’actuel pont de Rialto, chargé de frapper des pièces d’argent de type carolingien.
Au Xe siècle, Venise renforce sa puissance commerciale en prenant possession des littoraux dalmates pour protéger ses accès maritimes des menaces pirates et fournir des relais à ses navires chargés de marchandises venant du commerce lointain avec Constantinople ou directement avec les commerçants arabo-musulmans d’Afrique du Nord et du Proche Orient, malgré les condamnations du clergé occidental. Elle n’hésite pas non plus à développer une puissante flotte de guerre pour éliminer ses concurrents notamment dans la production du sel et en obtenir le monopole. Enfin, son indépendance politique et ses privilèges commerciaux lui sont confirmés par l’Empereur byzantin Alexis Comnène en 1082 puis par l’Empereur germanique Henri IV en 1095 en échanges d’accords militaires.
Une puissante thalassocratie
Au XIe siècle, Venise est donc déjà une puissance incontournable du monde méditerranéen. Elle est dirigée par un doge élu, assisté d’une assemblée législative et d’une curie ducale tandis que le clergé bénéficie d’une nouvelle basilique érigée en l’honneur du saint patron entre 1043 et 1070 à son emplacement actuel. La plupart des bâtiments qui étaient en bois à l’exception des églises et du palais ducal, sont progressivement remplacés par des résidences en briques avec des fondations en « pierre d’Istrie » qui résiste aux assauts de l’eau salée. Le réseau de canaux est étoffé et l’on se déplace principalement sur l’eau entre les différentes paroisses regroupées en 1169, en 6 « quartiere » historiques : San Marco, Cannaregio, Castello, Dorsoduro, San Polo et San Croce aujourd’hui symbolisés par les 6 dents qui trônent à l’extrémité des gondoles vénitiennes. Ainsi, dès le XIIe siècle, Venise est désignée comme une « cité miraculeuse » sortie des eaux par les observateurs internationaux qui ont la chance de la visiter. C’est à cette époque que les croisades, initiées par les papes pour détourner la fougue des chevaliers occidentaux vers les ennemis du Christ orientaux, offrent de nouvelles opportunités de développement. En libérant les lieux saints, les croisades ouvrent de nouvelles routes de commerce et donnent l’accès à de nouveaux produits venus d’Asie et du Moyen-Orient, sans passer par l’intermédiaire byzantin. C’est là une magnifique occasion d’affaiblir l’ancienne cité protectrice devenue le principal concurrent commercial de Venise en Méditerranée orientale. De plus, les cités maritimes italiennes étant les seules à pouvoir assurer le transport de troupes et de matériel sur la Méditerranée, les Croisés font appel à la flotte de Venise pour se transporter en Terre Sainte dès 1100. Venise est ainsi devenu un acteur incontournable en Europe et tout autour de la Méditerranée, et malgré la faiblesse de son armée « terrestre », elle est capable d’imposer sa volonté aux plus grandes puissances de l’époque : les Francs, les Byzantins ou le Saint Empire Romain Germanique. En 1183, à l’occasion de la signature d’accords militaires et commerciaux, elle parvient à empêcher l’Empereur germanique de prendre le contrôle de la frappe des monnaies dans l’Empire et permet ainsi à toutes les cités italiennes de conserver le droit de battre leurs propres monnaies. En accumulant les excédents commerciaux, les revenus des transferts d’argent, de marchandises et de troupes vers l’Orient et en prenant le contrôle financier des mines d’argent des Alpes, Venise dispose alors de stocks d’argent très importants qui permettent au Doge Henri Dandolo, de lancer en 1192, l’émission d’une nouvelle grosse pièce d’argent, qui peut désormais remplacer les pièces byzantines et concurrencer les premières grosses monnaies impériales frappées à Milan en 1162. Le premier « grosso » vénitien, appelé aussi « matapan », pèse 2 grammes et vaut 12 deniers. Il remplace avantageusement le maigre denier d’argent local dont le titre ne dépassait pas 25%. Cet incroyable développement n’est pas du goût des Byzantins qui tentent d’affaiblir Venise en offrant de nouveaux privilèges à leurs rivaux gênois et en saisissant une partie des possessions vénitiennes en Grèce en 1171. La République attend une opportunité pour prendre sa revanche mais elle a besoin de puissants alliés. Elle va les trouver à l’occasion de la quatrième croisade lancée en 1203, en exigeant près de 84 000 marcs d’argent aux seigneurs qui souhaitaient s’y engager. Venise n’en obtient que 34 000, ce qui constitue déjà une somme énorme, mais elle parvient surtout à négocier avec les chevaliers croisés de détourner à son profit cette croisade pour piller Constantinople, capitale de l’orthodoxie, en juillet 1203 puis en avril 1204. Elle élimine ainsi son principal adversaire commercial. Elle en profite aussi pour piller les fabuleuses richesses de la ville, près de 900 000 marcs d’argent, et embellir Venise, sa basilique et son palais ducal de Saint Marc avec les marbres et les statues qui ornaient les basiliques et les palais de Constantin. Les quatre chevaux de cuivre doré qui ornaient l’hippodrome de Constantinople, trônent désormais au-dessus de l’entrée de la basilique. Enfin, elle se constitue un vaste empire maritime en prenant possession des principales îles grecques et dalmates. Elle devient alors le plus grand port de Méditerranée et peut commencer une nouvelle activité, celle de la manipulation des monnaies et des métaux précieux à l’échelle internationale.
Venise, centre des échanges internationaux
En 1229, le Doge Jacopo Tiepolo dote la République d’une puissante entité administrative, la « Zecca », dont les employés sont des fonctionnaires au service de la cité et non pas des banquiers issus des puissantes familles nobles cherchant à protéger leurs intérêts particuliers comme à Gênes ou à Florence. Cette zecca est plus qu’un simple atelier monétaire, elle est non seulement chargée de frapper les monnaies mais également de gérer les réserves d’or et d’argent en surveillant le trésor public et ses réserves stratégiques. Elle étudie et valide les budgets et assure le financement des projets votés par l’Etat. Elle verse les salaires de tous les employés de la ville et enfin elle surveille et garantit la qualité, la quantité et la diffusion des monnaies, non seulement pour lutter contre les faussaires mais surtout pour rassurer les partenaires commerciaux qui savent que Venise ne procédera pas à des dévaluations ou des manipulations monétaires déjà courantes chez les souverains occidentaux. Cette stabilité est symbolisée par un poinçon, le sceau au lion de Saint Marc, ressemblant à un crabe, « moleca », que tous les banquiers, les corporations d’artisans et les commerçants européens reconnaissent aussi bien sur les pièces que sur les travaux d’orfèvrerie. L’aloi vénitien porté à 99.47% d’or fin est alors considéré comme le plus pur que l’on puisse produire en Europe jusqu’à la fin du XVIe siècle.
La frappe des pièces d’or peut donc reprendre à Venise dès 1284, avec une pièce de 3.545 grammes, valant 26 deniers et appelée « ducat » du nom de son émetteur, le doge ou duc mais aussi baptisée « zecchino » ou « sequin » en français car elle provient de la zecca. Florence avait été la première cité à se lancer dans une frappe de Florins d’or, dès 1252, pour faciliter ses transports de fonds entre ses places financières installées dans toute l’Europe. Venise choisit de l’imiter et d’entrer directement en concurrence en proposant un ducat qui offre les mêmes caractéristiques que le florin. Rapidement, sa puissance commerciale et sa maîtrise des stocks de métaux précieux lui permettent d’émettre plus de deux millions de pièces, ducats d’or ou d’argent, par an, et ce, tout en continuant son commerce. La zecca de Venise assure le succès de son ducat d’or en assurant un aspect et des caractéristiques strictement identiques, quel que soit le contexte économique. Ainsi, sur toutes les pièces on peut observer la figure de Saint Marc qui remet l’étendard de la cité au Doge de Venise agenouillé sur l’avers tandis que le Christ en majesté tenant les évangiles, entouré d’un halo en forme d’amande constitué de neuf étoiles, apparait au revers. Chaque pièce comporte le nom du doge, le nom de saint Marc et une inscription latine faisant référence au Christ : « que ce duché que tu gouvernes te soit consacré, Ô Christ ». Le Ducat conservera d’ailleurs toutes ses spécificités pendant encore 500 ans jusqu’à sa démonétisation en 1870. Le Florin, lui, sera rapidement dépassé en Italie et dans tout le Bassin Méditerranéen par le succès du ducat dès le XIVe siècle. La zecca, installée à proximité du Palais des Doges en 1297 devient alors un véritable organe politique de la cité. Ainsi, elle participe au gouvernement centralisé de la République et de son Empire dont le cœur se situe autour du Palais des Doges, adossé à la basilique Saint Marc. On y trouve différents conseils composés à la fois de membres du clergé, de militaires, de commerçants, de représentants des corporations et de magistrats, et tous agissent de concert dans l’intérêt de la cité, à la différence des grandes familles nobles de Florence, de Gênes ou de Milan qui n’ont de cesse de s’affronter. Au sommet de sa puissance aux XIIIe et XIVe siècles, Venise contrôle une bonne partie des côtes de l’Adriatique et des îles de la mer Egée, ainsi que bons nombres de comptoirs de la Mer Noire à l’Egypte et elle négocie des traités de neutralité et de commerce avec les cités italiennes, les souverains chrétiens d’Occident, l’Empereur byzantin, mais aussi les souverains musulmans Ayyoubides, Mamelouks ou Turcs. Venise profite même de sa position diplomatique auprès des Papes pour obtenir le droit de collecter la dîme et de gérer les transferts de fonds avec de généreuses commissions. Elle décide alors de profiter de sa position dominante dans le commerce des métaux précieux entre l’Orient et l’Occident pour spéculer sur le change entre l’or et l’argent. On estime qu’à la fin du XIIIe siècle, Venise contrôle près de 25% de l’argent qui circule en Europe. Elle commence donc à exporter massivement l’argent vers l’Orient en échange des monnaies d’or présentes en plus grande quantité dans les économies orientales, et du minerai brut issu des mines africaines via le port d’Alexandrie. Au passage elle réalise un bénéfice extraordinaire qui surpasse de loin les intérêts des prêts accordés par les riches familles de Florence ou de Gênes aux Rois de France ou d’Angleterre. Cette spécialité devient sa principale activité commerciale à partir de 1310. L’Etat Vénitien n’a alors nul besoin de se soucier de développer des activités industrielles ou bancaires risquées. La zecca de Venise se contente de contrôler le trafic des métaux précieux et d’assurer la qualité et la sécurité de l’argent qui part et de l’or qui arrive par bateaux remplis de bijoux, de lingots ou de monnaies. Les expéditions des commerçants vénitiens, comme Marco Polo, permettent même à Venise de s’assurer le monopole des rachats des trésors d’or pillés par les Mongols en Inde et en Chine. Les échanges se font alors à Tana et à Tabriz, deux colonies vénitiennes à proximité de la mer Noire. Au XIVe siècle, c’est donc Venise qui provoque les variations de valeurs de l’or et de l’argent qui elles-mêmes ont une répercussion sur le cours des monnaies européennes. Les rois occidentaux sont obligés de multiplier les réformes monétaires pour équilibrer leurs budgets. Il faut attendre le XVe siècle pour voir les souverains européens prendre des mesures drastiques contre les marchands vénitiens et mêmes italiens en général. Ils sont de plus en plus exclus des cours princières, des villes et des marchés… d’Aragon en 1401, d’Angleterre en 1403 ou de Flandre en 1409. Ils sont partout accusés d’être des spéculateurs et les grands rois reprennent le contrôle des frappes monétaires et de la circulation des métaux précieux dans leurs royaumes. Pendant ce temps, le déclin de Venise est déjà amorcé.
– Le centre économique devient un centre culturel –
Au XIVe siècle, Venise est l’une des plus grandes villes d’Europe avec déjà plus de 100.000 habitants. Elle est alors constamment en travaux pour édifier de nouveaux logements et des infrastructures d’état comme l’arsenal, agrandi en 1325. Malheureusement, cette promiscuité a des inconvénients. En 1348, Venise est touchée par la peste noire qui paralyse une partie de ses activités économiques. Dans le même temps, elle doit lutter sur tous les fronts pour résister aux alliances qui cherchent à provoquer sa perte. Gênes, Pise et Florence aspirent à reprendre leur place en Méditerranée. Milan, Ferrare ou Modène voient d’un mauvais œil l’expansionnisme vénitien dans la plaine padane car Venise n’hésite pas à engager des mercenaires pour s’emparer des terres agricoles indispensables à l’approvisionnement de sa population. Les grands souverains occidentaux comme le Roi de France, l’Empereur d’Autriche ou même le Pape s’inquiètent aussi de la puissance financière de Venise et cherchent à maintenir un équilibre entre les cités commerciales italiennes. Enfin, la nouvelle grande puissance orientale, l’Empire Ottoman qui s’empare de Constantinople en 1453, menace les possessions vénitiennes dans la région. Venise ne doit alors son salut qu’à l’habilité de son réseau de diplomates qui ont infiltré toutes les cours européennes et savent jouer des oppositions politiques et diplomatiques pour faire le jeu de la Sérénissime République ! Elle parvient ainsi à survivre à une série de coalitions en négociant avec Florence en 1425, Milan en 1454, les Turcs en 1499, avec le Pape et la Hongrie en 1502, avec les Français en 1509 puis avec les Anglais et les Espagnols en 1511 mais ses activités commerciales déclinent fortement depuis la découverte des nouvelles routes maritimes à travers l’Océan Atlantique et l’Océan Indien. En contournant l’Afrique, les Portugais mettent la main sur le commerce des épices et des soieries venus d’Inde et de Chine. Puis, les Espagnols, en découvrant d’importantes mines d’or et d’argent en Amérique, réduisent à néant l’influence de Venise sur le cours des métaux. Elle parvient cependant à répondre à la déferlante de monnaies espagnoles et autrichiennes alimentées par le Nouveau Monde en émettant en 1543, une nouvelle pièce d’argent, un ducat imitant le thaler et pesant 23.4 grammes d’argent pur à 82.6%. Son ducat correspond alors à l’unité de compte « universelle » instituée par le Saint Empire des Habsbourg et lui permet de rivaliser sur les marchés européens. La zecca tente également de diversifier sa production en émettant des multiples du sequin et du ducat avec des pièces de 0.25, 0.50, 2, 3, 6, 10, 12, 15 ou 20 sequins. Cette dernière pièce d’or est la plus grosse frappée en Italie à ce jour. Elle date de 1646 et pèse 70 grammes d’or pur à 24 carats. Ces pièces de prestige font perdurer la réputation de Venise mais ne lui permettent pas de redresser son influence commerciale. Au XVIe siècle, la guerre avec les Turcs Ottomans ferme le marché oriental. Les routes du commerce méditerranéen deviennent secondaires. De plus, Venise perd une par une ses possessions à l’Est. Chypre, la Crète, le Péloponnèse et les derniers comptoirs de la Mer Noire sont tous récupérés par les Ottomans entre le XVIe et le XVIIe siècle.
Venise entame alors une seconde vie en développant ses activités artisanales, en créant de véritables manufactures capables de fabriquer en quantité des produits d’une très grande qualité et en rentabilisant ses possessions foncières en Italie et en Dalmatie. Les grandes familles patriciennes de Venise, devenues rentières, se consacrent alors à embellir la ville en construisant de magnifiques palais particuliers et en décorant les églises et les bâtiments publics pour les rendre plus impressionnants encore aux yeux des visiteurs étrangers. Venise, qui était déjà l’un des centres artistiques de la Renaissance, redevient un centre culturel foisonnant aux XVIIe-XVIIIe siècles, capable de rivaliser avec Paris, Madrid ou Londres. Les plus célèbres artistes se sont ainsi exprimés à Venise : Dürer, Le Titien, Bellini ou Véronèse avaient marqué de leur empreinte l’architecture et la peinture vénitienne du XVIe siècle. Monteverdi, Vivaldi, Le Canaletto, Longhi ou Guardi vont inspirer la musique et surtout l’architecture vénitienne au XVIIIe siècle. Si chaque palais rivalise en beauté et en luxe, ils n’en respectent pas moins une certaine harmonie des façades imposée par les autorités de la ville. De nombreux ouvrages sont retouchés, comme la basilique Saint Marc, fondée en 828, remaniée avec des éléments gothiques et des œuvres d’arts pillées à Constantinople au XIIIe siècle, mais achevée dans sa forme définitive au début du XVIIe siècle. Sa date d’achèvement, 1617, a d’ailleurs récemment fait l’objet d’une commémoration monétaire. Enfin, de nouveaux monuments sont construits pour répondre aux besoins de la population comme le célèbre Opéra de la Fenice, achevé en 1792, afin d’y écouter les œuvres des compositeurs vénitiens, Monteverdi ou Vivaldi. Au XVIIIe siècle, Venise apparaît comme la capitale de la fête avec un carnaval qui dure près de 6 mois, des théâtres, des concerts et des fêtes publiques toutes les semaines de l’année. Et si les fêtes religieuses ne suffisent pas, les autorités en créent de nouvelles comme des régates populaires : celle « delle Befane » en janvier, celle de la « Vogalonga » en mars ou celle de « Storiche » en septembre. Enfin, l’événement le plus célèbre avec le carnaval est peut-être l’institution de la « fête de la Sensa », un rituel païen réapproprié par l’Eglise, au cours duquel le doge sort sur le grand canal à bord du Bucentaure, le navire d’apparat de la ville, et jette un anneau d’or dans la mer Adriatique pour symboliser le mariage entre la Sérénissime et l’Océan.
Malheureusement, le 12 mai 1797, Napoléon met fin à plus de 1000 ans d’indépendance en s’emparant de la cité, prétextant qu’elle constitue une menace pour les troupes françaises alors en guerre contre l’Autriche. En réalité, le Directoire cherche à s’emparer d’une partie de la fortune de Venise et surtout de sa flotte encore imposante. L’aristocratie vénitienne est alors contrainte de destituer son Doge, Ludovico Manin, et de livrer la ville au pillage organisé des œuvres d’art, qu’ils avaient eux-mêmes pris à Constantinople 500 ans plus tôt. La monnaie de Venise survit cependant à l’épisode, et les Autrichiens, qui récupèrent la ville par les traités de 1815, maintiennent la frappe des ducats jusqu’en 1823. Puis, ils substituent les motifs emblématiques de Venise par l’aigle impérial à deux têtes. Le nom de « ducat vénitien » lui-même continue d’être utilisé par les autorités autrichiennes jusqu’à la perte de la province au profit de la réunification italienne. Le Ducat disparait alors en 1870 pour laisser place à la monnaie souveraine du jeune Etat, la Lire.
L’anniversaire de la fondation de la ville sera-t-il commémoré ?
Les événements commémoratifs de la fondation de la ville ont déjà commencé en 2020 malgré la pandémie avec une série de concerts organisée dans le fameux Opéra de la Fenice en septembre ou encore une fresque historique, reconstituant les principaux épisodes de l’histoire de la cité, projetée en vidéo sur le pont du Rialto entre le 5 et le 31 décembre dernier. Malheureusement, les plus fameux événements, comme le célèbre carnaval de Venise qui se tient habituellement en février, vont sans doute être annulés en raison de la pandémie mais la Venise semble miser sur les mois de mai et de juin pour organiser plus d’événements autours des 1600 ans de la « sérénissime ». Enfin, la « Mostra » ou festival international du film, les régates de Storiche et le festival dédié à l’art du travail du verre devraient bien se tenir en septembre. Sur le plan monétaire, l’atelier de la monnaie italienne, qui porte aussi le nom de zecca, n’a pas prévue de frappes de monnaies commémoratives dédiées à Venise.
La dernière en date à été frappée en 2017. Il s’agissait d’une pièce de 2 euros commémorative proposée par l’Italie dans le cadre des accords sur les frappes de monnaies spécifiques nationales auprès des instances de l’Union Européenne. Cette frappe spéciale de 2 euros avait été consacrée au 400e anniversaire de la fin de la construction de la Basilique Saint-Marc de Venise (1617-2017). Elle avait été frappée à 1.5 millions d’exemplaires en qualité UNC, 21000 en BU et 8000 en BE.
On peut encore aisément se la procurer, malheureusement, la zecca italienne a décidé de ne pas renouveler cette expérience et il faudra se contenter de médailles touristiques ou alors tenter de mettre la main sur l’un des millions de ducats et de sequins d’or et d’argent frappés par Venise depuis le XIIIe siècle !