Guerrier brutal et cruel, mauvais gestionnaire malgré la richesse de son vaste « empire Plantagenêt », Richard Coeur de Lion est pourtant entré dans la légende comme l’un des plus prestigieux Rois d’Angleterre. En seulement 10 ans de règne, il n’a passé en réalité que quelques mois en Angleterre sans jamais apprendre l’anglais. Sa légende tient à son courage lors de la troisième croisade face au non moins célèbre Saladin. Cette croisade fut pourtant un échec qui mit à mal les finances de son royaume et de tous ses domaines.
Lorsqu’il est capturé à son retour, c’est sa mère qui parvient à rassembler péniblement une partie de la rançon pour sa libération, 100 000 livres d’argent, une somme gigantesque pour l’époque. Son goût pour les arts et son mécénat ont sans doute contribué à sauver sa réputation puisque bien des auteurs le rattachent aux récits légendaires qui ont fondé l’Angleterre comme les héros Robin des Bois ou Ivanhoé.
Un véritable « empire Plantagenêt »
L’empire Plantagenêt ou empire Angevin est en réalité un assemblage de territoires dépendants tous du même suzerain mais n’ayant aucune unité administrative, politique ou financière. Les liens commerciaux et les revenus fiscaux sont importants mais la famille Plantagenêt ne cherche pas vraiment à en faire un empire unifié et structuré. A l’origine, les comtes d’Anjou se sont attachés à étendre leur domination sur le Maine et la Touraine, puis Geoffroy Plantagenêt épouse Mathilde, seule héritière du trône d’Angleterre en 1128. Il devient alors duc de Normandie et participe avec ses troupes à la guerre civile anglaise qui oppose Mathilde à son cousin l’usurpateur Etienne de Blois. En 1152, le Roi Louis VII répudie son épouse Aliénor d’Aquitaine, alors duchesse d’Aquitaine et comtesse de Poitou. Henri II Plantagenêt, l’héritier de Geoffroy, s’empresse de l’épouser pour étendre ses domaines à tout l’Ouest de la France. A la mort du Roi Etienne en 1154, Henri II hérite de la couronne d’Angleterre suivant le traité qui avait été signé l’année précédente entre sa mère Mathilde et Etienne qui n’avait pas eu d’enfants.
Henri II est alors à la tête d’un vaste domaine qui inclus l’Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou, la Gascogne, le Limousin, la Saintonge, l’Aunis, le comté d’Angoulême, la Normandie et l’Angleterre ainsi qu’une partie de l’Irlande et de l’Ecosse. En prenant le contrôle de la Bretagne en 1166, il devient l’un des souverains les plus puissants d’Europe mais demeure le vassal du Roi de France pour tous les fiefs qu’il tient sur le continent. De toutes ces terres qui forment un véritable « empire » seuls le Maine, la Normandie et l’Angleterre étaient correctement administrés mais l’autorité centrale des Plantagenêt y était faible et les représentants locaux géraient eux-mêmes le commerce, le prélèvement des taxes et l’émission des monnaies. En Angleterre, le Roi Henri hérite d’une situation monétaire saine. Il a le monopole des émissions et le titre, le poids et le type des monnaies est unique et invariable. Le denier esterlin anglais qui vaut au minimum quatre deniers français est alors la monnaie d’argent la plus fiable et la plus forte d’Europe occidentale. En 1158, Henri II confirme ce type unique et modernise son aspect en 1180 avec l’aide d’un graveur français de Tours. Seize ateliers sont chargés d’approvisionner les marchés anglais et le commerce européen. La situation des deniers français est plus complexe puisque chaque province dispose de ses ateliers et frappe des deniers de titre et de poids différents. Les deniers angevins, mansois et normands ou « roumois » sont assez stables et sont restés figés à l’identique de types antérieurs datant de Foulques d’Anjou ou d’Herbert du Mans. Ils ne comportent que 350 à 560 mg d’argent fins contre 1368 mg pour le denier esterlin mais leur stabilité leur permet d’être utilisés comme monnaie de compte dans la plupart des territoires Plantagenêt. Le denier angevin est même parfois mentionné comme étant le quart de l’esterlin. A l’inverse, l’Aquitaine, le Poitou et la Bretagne étaient relativement autonomes vis-à-vis du pouvoir ducal et les vassaux locaux se permettaient facilement d’usurper les droits de leur seigneur en refusant de reverser tous les impôts et en émettant leur propre monnaie.
La situation monétaire est alors très complexe avec un grand nombre d’ateliers et de types différents. Il existe ainsi des monnayages à Issoudun, Châteaudun, Vendôme, Périgueux, Angoulême, Turenne, Bordeaux ou Limoges entre autres. Les poids et les titres sont aussi très variables entre 345 mg d’argent pour un denier de Poitou contre 780 mg pour un denier du Béarn. Henri II ne cherche pourtant pas à unifier le système et il faudra attendre la souveraineté des Capétiens pour obtenir une certaine unification du système monétaire avec l’imposition progressive du denier tournois. Henri II peut cependant compter sur les revenus fiscaux de l’Angleterre et de la Normandie pour financer ses projets politiques. Son fils Richard en tirera l’essentiel de ses ressources nécessaires pour financer la troisième croisade. Il peut ainsi soutirer jusqu’à 31 000 livres d’argent à l’Angleterre et plus de 10 000 à la Normandie dont le commerce fleurissant fait la fortune de ses habitants. Dans les autres provinces française, la situation est plus chaotique et les Plantagenêt peinent à imposer leur autorité.
Richard « le Poitevin » !
Richard naît à Oxford, au palais de Beaumont, le 8 septembre 1157, il n’est que le troisième fils dans l’ordre de succession et donc ne se prépare pas vraiment à régner. Chouchouté par sa mère, il préfère vivre auprès d’elle en Aquitaine et passe la majeure partie de sa jeunesse dans les différentes demeures ducales du Poitou. Il gagne alors son premier surnom de « Richard le Poitevin » tandis qu’il ne séjourne jamais en Angleterre et ne prend pas la peine d’apprendre un mot d’anglais. En 1169, il est promis en mariage à Adèle de France, la fille du Roi Louis VII mais son père, le Roi Henri II Plantagenêt en tombe amoureux et la prend pour maîtresse. Vexé, le jeune Richard se voit obligé d’accepter cette situation non sans en garder rancoeur contre son père. Il préfère alors se réfugier auprès de sa mère et s’éloigner de sa promise pour éviter les moqueries. A 13 ans, en 1170 il devient comte de Poitou et duc d’Aquitaine alors que son frère aîné, Henri le Jeune qui doit régner, ne se voit confier aucun territoire par son père. Ce dernier fait même assassiner le chancelier Thomas Becket qui a éduqué Henri comme son propre fils.
Henri le Jeune, pressé d’avoir des responsabilités, est adoubé en 1173 par le prestigieux chevalier Guillaume le Maréchal avant de se réfugier auprès du Roi Louis VII. Il entre alors en rébellion contre son père et entraîne facilement avec lui ses deux jeunes frères Richard et Geoffroy ainsi qu’une partie de la noblesse française à qui il promet des revenus dans ses domaines. Soupçonnant sa propre épouse de comploter contre lui, Henri II fait emprisonner Aliénor et part combattre les rebelles en Normandie. Après avoir réussi à capturer les principaux leaders il oblige son fils à accepter de faire la paix le 30 septembre 1174 à Montlouis. Henri le Jeune obtient 15 000 livres angevines pour vivre selon son rang en l’absence de fief. La dotation de fiefs pour Jean le plus jeune est suspendue et Richard conserve ses titres. En 1180, suite à l’accession du jeune Philippe Auguste au trône de France, Henri se rapproche de lui pour contraindre son père à la négociation et à l’augmentation de sa pension. Pendant ce temps, le jeune Richard conforte sa position de duc d’Aquitaine et de comte de Poitiers. A ce titre, il fait frapper ses propres monnaies dans différents ateliers dont celui de Bordeaux dès 1176. Il ouvre également un nouvel atelier comtal à Montreuil-Bonnin en 1181 pour remplacer le vieil atelier de Melle.
Il ne songe pas alors à succéder à son père qu’il côtoie peu et préfère se comporter en seigneur Français, n’hésitant pas à punir les félons en confisquant leur château comme à Talmont en 1181 où il intervient suite à la plainte des moines de Saint Jean d’Orbestier. Il apprécie également la compagnie des troubadours et des poètes qui composent pour lui en Occitan, sa langue maternelle. Il fait construire de nombreux châteaux pour ses loisirs et pour la défense de son fief en Gascogne, en Périgord, en Charente ou en Limousin mais il se préoccupe peu du développement économique de ses domaines. Il ne cherche d’ailleurs pas à imposer sa monnaie mais se contente de faire apposer son titre de duc quand cela est possible. Ainsi, Richard ne se comporte pas en souverain, il agit simplement en véritable seigneur chevalier dont il cultive les valeurs de bravoure, d’honneur et de largesse. Cependant, certains lui reprochent sa cruauté et son manque de compassion car il n’hésite pas à piller, violer et massacrer les populations des terres dont les vassaux ont osé lui résister. De plus, son frère aîné lui envie sa position en Aquitaine alors que lui n’a toujours aucun domaine à gérer. Il cherche alors à l’affaiblir en venant soutenir des félons en Aquitaine, en suscitant des révoltes et en pillant les sanctuaires les plus prestigieux et les plus rentables de la région dont celui de Rocamadour. Richard réagit violemment avec le soutien de son père et le met en fuite mais Henri le Jeune tombe malade et meurt avant d’avoir pu se réconcilier avec son père et son frère le 11 juin 1183. La situation change alors brusquement pour Richard qui devient le nouvel héritier de la couronne d’Angleterre ! Il s’associe alors au jeune Roi Philippe Auguste qui devient son ami pour s’opposer à son père qui souhaiterait lui retirer ses domaines d’Anjou et d’Aquitaine pour les transférer à son frère Jean. Les combats en Anjou et dans le Maine ne se terminent qu’avec la mort du roi Henri, épuisé par ces disputes, à Chinon le 6 juillet 1189. Richard est couronné Roi à Westminster le 3 septembre suivant. Il ne reste cependant pas longtemps en Angleterre puisqu’il s’empresse de rentrer en France, après avoir prélevé des impôts exceptionnels, pour préparer une nouvelle croisade avec son ami le Roi de France.
La troisième croisade
En 1187, après la terrible défaite des armées croisées à Hattin, le chef des armées musulmanes, Saladin, reprenait Jérusalem. Les dernières forces chrétiennes sont alors assiégées dans quelques places fortes du littoral et le Pape appelle les souverains d’Occident à mener une troisième croisade pour libérer les lieux saints. Richard fait venir l’épouse qui lui avait été promise, la soeur de Philippe Auguste, à Rouen en février 1190 pour lui annoncer qu’il n’honorerait pas son engagement envers elle à cause du déshonneur dont il avait été victime. Libre de tout engagement et sachant que son ami le Roi Philippe partirait aussi en croisade, il peut accomplir son devoir de chevalier en partant secourir les lieux saints. Peu soucieux du sort de l’Angleterre dont il est devenu le Roi, Richard s’attache surtout à réunir les moyens matériels et financiers dont il a besoin. En Poitou et en Aquitaine seulement, il fait ajouter sa titulature royale à sa titulature ducale sur les monnaies frappées à partir de 1189. Pour le reste, il se contente de prélever les taxes, de faire des emprunts et de vider les caisses du trésor accumulé par son père. Il n’hésite pas non plus à libérer les anciens ennemis de son père contre rançon, échangeant ainsi le roi d’Ecosse qui s’était rebellé en 1173 contre 10 000 marcs d’argent. Enfin il vend différents offices et droits sur ses terres avant de retrouver Philippe Auguste à Vézelay le 4 juillet 1190.
Après plusieurs haltes en Sicile puis à Chypre où Richard fait reconnaître les droits de sa soeur Jeanne, épouse du défunt Guillaume II de Sicile, ils parviennent à reprendre Saint Jean d’Acre, Jaffa et Ascalon mais Jérusalem résiste. Les témoignages concernant l’attitude du Roi Richard ne sont pas tendres. Certes il se comporte en preux chevalier n’hésitant pas à mener l’assaut en première ligne, mais il n’hésite pas non plus à piller et brûler les villes prises ou à ordonner le massacre des prisonniers. Richard ne tolère pas non plus la moindre faiblesse chez ses compagnons de route et sait leur faire savoir. Plusieurs grands seigneurs et chevaliers, vexés par les accusations du Roi d’Angleterre, préfèrent quitter l’expédition. Fin tacticien il parvient tout de même à déjouer les attaques de Saladin comme à Arsouf mais il se révèle un piètre gestionnaire et revend les territoires confisqués pour seulement quelques dizaines de milliers de marcs à l’ordre des Templiers. Finalement, en août 1191, Philippe Auguste, tombé malade, reprend la route pour la France et laisse la majeure partie de ses troupes sous le commandement de Richard. Ce dernier, malgré quelques batailles où il s’illustre par sa hardiesse, ne parvient pas à reprendre Jérusalem et doit conclure un traité de paix en 1192 qui permet aux Chrétiens de tenir les places fortes du littoral et à Saladin de conserver Jérusalem.
Le premier promet de laisser circuler librement les commerçants arabes entre la Syrie et l’Egypte tandis que le second maintient Jérusalem ouverte aux pèlerinages. La lutte chevaleresque entre les deux grands guerriers est emprunte de respect mutuel et Saladin offre plusieurs fois ses services à Richard quand ce dernier tombe malade ou perd son cheval. Les libérations de prisonniers sont fréquentes malgré la violence des affrontements et un projet de mariage entre la soeur du Roi d’Angleterre et l’un des frères de Saladin qui semble s’être lié d’amitié avec Richard, est même évoqué pour consolider les liens entre les deux souverains mais la rivalité entre Chrétiens et Musulmans ne permet pas un tel mariage. Les grandes quantités d’argent apportées par les pèlerins, les commerçants et surtout par les chevaliers croisés qui confiaient leurs biens aux ordres militaires comme les Hospitaliers ou les Templiers, permettent une abondante frappe de pièces d’argent en Orient obligeant Saladin à réintroduire le dirhem d’argent tandis que les souverains occidentaux pourront bientôt s’inspirer des frappes en or des Byzantins et des musulmans pour relancer la frappe de l’or en Occident. Richard n’en est pas là et doit se résoudre à rentrer en France pour mettre fin aux complots entre Philippe Auguste et le prince Jean sans Terre qui menacent sa couronne. Ces derniers se sont entendus pour se partager les possessions de Richard et Jean cède au Roi de France une partie des places fortes de Normandie.
Richard embarque le 9 octobre 1192 mais son navire échoue à Corfou. Déterminé à éviter tout nouveau péril maritime, il choisit de rentrer incognito par voie terrestre en remontant la côte Dalmate. Malheureusement, en traversant l’Autriche il est reconnu par l’un des seigneurs qu’il avait insulté en Palestine. Ce dernier le fait prisonnier et le revend pour 50 000 marcs d’argent à son suzerain l’empereur Henri VI qui réclame à son tour 150 000 marcs d’argent à sa mère Aliénor pour sa libération. Jean Sans Terre, qui complote toujours avec le Roi de France, est peu enclin à réunir la somme et n’a pas de difficultés à convaincre les barons anglais de se désintéresser du sort de Richard. C’est finalement Aliénor, avec le soutien des vassaux d’Aquitaine, qui parvient à réunir péniblement 100 000 marcs d’argent pour obtenir la libération immédiate du Roi d’Angleterre contre une promesse d’un tribut annuel de 5 000 livres par an. Richard quitte l’Autriche en février 1194 et débarque en Angleterre le 20 mars. Aussitôt il reprend une à une les places fortes contrôlées par son frère en Angleterre. Jean s’enfuit en France mais est rattrapé à Lisieux en mai 1194. Il renouvelle ses voeux de fidélité à son frère tandis que Philippe Auguste, sentant le vent tourner, s’enfuit en abandonnant une partie de ses troupes. La vengeance de Richard va être terrible. Il brûle Evreux sous les yeux de son frère et promet de reprendre toutes les terres cédées par Jean au Roi de France en son absence.
Mourir au combat
Entre 1194 et 1199, Richard court de victoir
es en victoires en Aquitaine, en Touraine et surtout en Normandie. Il fait construire une série de forteresses destinées à protéger ses frontières, la plus célèbre étant le fameux château Gaillard près des Andelys. En mars 1199, il est en Limousin pour mater la rébellion de son vassal Adémar V de Limoges lui-même soutenu par le fin diplomate Philippe Auguste qui cherche à affaiblir Richard. Alors qu’il assiège le modeste château de Challus, il est atteint par un carreau d’arbalète le 26 mars. La flèche est retirée mais la plaie s’infecte et la gangrène s’installe. Mal soigné, Richard meurt dans son lit le 6 avril à seulement 42 ans alors qu’il rêvait d’une mort glorieuse au combat. Son corps est transporté à l’abbaye de Fontevraud, non loin de Saumur, et son coeur est envoyé dans la cathédrale de Rouen tandis que Jean Sans Terre peut enfin succéder à son frère et devenir roi le 27 mai 1199 à Westminster. Philippe Auguste profite une fois encore de la faiblesse de ce dernier pour prononcer la commise de tous les fiefs continentaux du roi d’Angleterre et fomenter une révolte des barons anglais et bretons. Ainsi, en 1204, le Roi de France s’empare de la Normandie, du Maine, de l’Anjou, de la Touraine et du Poitou, ne laissant que l’Aquitaine, aux frontières mal définies, au Roi d’Angleterre. Les défaites successives de Bouvines et de la Roche aux Moines en 1214 mettent un terme aux ambitions du Roi Jean de reprendre les fleurons de l’empire Plantagenêt. Les barons anglais excédés par les demandes financières et militaires qui pèsent sur la population et n’aboutissent qu’à des échecs, obligent le Roi Jean à signer la fameuse Magna Carta en 1215 qui leur donne le droit de contrôler la politique fiscale du royaume en donnant naissance à un conseil, ancêtre du premier parlement anglais. L’Empire Plantagenêt a alors définitivement sombré mais les souverains anglais ne renoncent pas à leurs droits et combattent les Rois Capétiens puis Valois pendant la Guerre de Cent Ans jusqu’en 1453.
Une réputation usurpée ?
Richard n’a gagné son surnom de « Coeur de Lion » qu’après sa croisade en Terre Sainte où sa vaillance et sa hardiesse ont effectivement impressionné ses compagnons de toute l’Europe et ses adversaires. C’est un chevalier qui aime se battre et qui n’hésite pas à charger en première ligne ou à guerroyer au coeur de la mêlée. Il a été blessé plusieurs fois mais s’en est toujours bien sorti. Il cultive les valeurs chevaleresques et invite les troubadours à conter ses exploits de son vivant. Il s’est pourtant aussi illustré pour sa brutalité, sa cruauté et son manque de diplomatie. Massacrer des prisonniers, piller et brûler des villes pour l’exemple, tuer des femmes et des enfants ou humilier ceux qui n’ont pas fait preuve d’autant de bravoure au combat, lui semblent des comportements normaux quand on est un « Roi chevalier ». La dimension « royale » de sa fonction ne lui est pas vraiment paru primordiale. Il a surtout aimé se comporter en seigneur de ses chères terres d’Anjou, d’Aquitaine et de Normandie et n’a utilisé ses prérogatives royales que pour obtenir les fonds financiers et les moyens matériels et militaires dont il avait besoin pour mener ses combats en Terre Sainte puis en France.
La haine qu’il a pu susciter lui a d’ailleurs coûté cher puisque c’est un seigneur qu’il avait humilié qui le capture en Autriche, son frère Jean refuse de prélever l’argent de la rançon et cherche à le détrôner avec l’aide de celui qui se prétendait son ami, le Roi Philippe Auguste et les vassaux français, prêts à se rebeller comme le seigneur Limoges qui sera à l’origine de sa mort en Limousin, ne sont pas durs à recruter. Finalement seule sa mère, Aliénor d’Aquitaine, qui mourra bien après lui à l’âge de 82 ans, et les poètes de l’époque l’ont vraiment apprécié. Pour ces derniers, il est un personnage extraordinaire dont il est aisé de conter les exploits pour en faire un véritable héros. L’idéal du chevalier courtois, généreux et courageux est enfin transposable à un Roi. Des chevaliers, comme Guillaume le Maréchal, connaissaient eux-aussi une notoriété presque légendaire mais ils n’étaient pas Rois. Les troubadours et jongleurs de l’époque peuvent donc rajouter un personnage après avoir raconté les exploits de Roland, d’Arthur ou des chevaliers de la Table Ronde et c’est ainsi que le Roi Richard rentre dans l’histoire légendaire de l’Angleterre, bientôt associé à Ivanhoé et Robin des Bois.