Un objet original de collection
LES MONNAIES SATIRIQUES
Des monnaies satiriques, vous en avez certainement vu ici ou là dans les bourses numismatiques ou sur des catalogues de ventes aux enchères. Leur aspect ou leurs légendes vous ont même peut être intrigué, amusé. Mais ces objets numismatiques, à la fois drôles et étranges, parcelles d’histoire politique, frappés en grande séries ou gravés à la main, n’avaient, jusqu’à ce jour, fait l’objet d’aucun ouvrage permettant de les classer, et encore moins d’en estimer la rareté. C’est chose faite avec le livre Histoire des monnaies satiriques de Christian SCHWEYER qui vient de sortir, à la fois somme documentaire complètement inédite tant il est complet, et, au delà de l’aspect numismatique, véritable livre d’Histoire (comme son titre l’indique d’ailleurs), bourré d’anecdotes. C’est pour saluer cet énorme travail que Monnaie Magazine a voulu interviewer son auteur.
Monnaie Magazine
Pourriez-vous tout d’abord nous définir ce que l’on entend par « monnaie satirique » ?
Christian SCHWEYER. Au sens restreint, il s’agit d’une monnaie détournée avec une surcharge ou une regravure contenant une satire de l’autorité émettrice. Au sens large, ce sont les monnaies modifiées pour raisons politiques. Elles incluent par exemple les 10 centimes à l’effigie de Boulanger, regravées pour ses partisans.
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Les monnaies « patriotiques » sont-elles à classer dans cette catégorie ?
Christian SCHWEYER. Oui, par extension. C’est le cas des regravées au casque néerlandais coiffant la reine Wilhelmina, des pennies où Victoria est changée en prince de Galles et superbement doré, ou encore des Boulanger non satiriques.
Sur ce penny de 1881, l’ajout d’une barbe à Victoria fait apparaître son fils, le futur Edouard VII, en grande tenue.
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À quand faites-vous remonter la date d’apparition de ces monnaies ?
Christian SCHWEYER. Le point de départ se confond avec la montée des mobilisations populaires pendant la Révolution française. À partir de ce moment-là, des camps politiques se constituent, se recomposent et s’affrontent. La monnaie modifiée et la médaille sont des terrains de bataille, marginaux au début, mais qui vont prendre de l’importance à certains moments.
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Existe-t-il également des « billets satiriques » ?
Christian SCHWEYER. Il existe des billets tamponnés avec un message politique. Ils peuvent entrer dans ces catégories. Il y a cependant peu d’ironie dans ces modifications. Le seul cas que je connaisse est le 20 francs « pêcheur » où la corde de ce dernier serre le cou du portrait de Hitler ou de Pétain. Il fallait récupérer l’effigie sur un timbre et la glisser par une incision à l’emplacement de la corde.
Pétain étranglé par le pêcheur
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Comment en vient-on à collectionner ce type de monnaies et médailles ?
Christian SCHWEYER. J’imagine qu’il y a plusieurs chemins. Moi, c’est la désacralisation du souverain qui m’a attiré. Mais la qualité impressionnante des regravures peut aussi être un véritable plaisir cent fois renouvelé, tant il y en a de types différents.
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À parcourir votre ouvrage, on a l’impression que Napoléon III a, en particulier après la défaite de Sedan où il est fait prisonnier, plus que d’autres, provoqué l’ire des graveurs. Comment expliquez-vous cela ?
Christian SCHWEYER. Son nom était une promesse de puissance. Ceux qui ont voté pour lui savaient qu’il allait faire la guerre. Mais il l’a perdue. Tout cela était dans le cadre du culte de Napoléon Ier. Et quand il s’est effondré, la population lui a reproché aussi toute sa petitesse, c’est-à-dire sa dictature, ses travers, l’achat des consciences, le parjure du serment, etc.
Napoléon le Petit (selon le mot de Victor Hugo)
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Certaines de ces monnaies (ou médailles) sont des frappes satiriques spécialement réalisées, sans rapport direct avec les dessins très spontanés que l’on trouve sur les autres pièces. Sait-on qui les faisait frapper et comment elles étaient ensuite commercialisées ?
Christian SCHWEYER. On a une très forte présomption pour Bruxelles. Il s’agirait de l’atelier Menning des graveurs Wurden et Veyrat avec Brichaut comme concepteur. Brichaut était une autorité au niveau de la Monnaie de Bruxelles et a aussi inspiré toutes sortes de monnaies de fantaisie. Sur Paris, le graveur de référence est Trotin pour la fabrication des coins. Les diffuseurs étaient Dusseaux, Massonnet et Thouet. Un article de Gode et Belaubre en rend compte dans la revue Moneta de 2000.
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Pour les multiples et très majoritaires, monnaies regravées à la main ou estampées d’un signe ou d’un mot, avez-vous réussi à en identifier les auteurs ?
Christian SCHWEYER. Pas formellement. On arrive, par recoupement à identifier les régions d’origine pour les regravures les plus courantes. On soupçonne aussi fortement Wurden et Veyrat d’en avoir fait. Pour les familles de regravures localisées sur Paris, on en connait une demi-douzaine avec des styles analogues qui pourraient avoir été faits par les ouvriers de Trotin et Trotin lui-même.
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À regarder les dessins regravés et à lire les légendes, ne pourrait-on assimiler ces monnaies aux graffitis politiques qui ornent les murs ?
Christian SCHWEYER. Tout à fait. Une regravée politique faite par un soldat en colère s’apparente à ce genre de manifestation. On ne peut en dire autant quand le graveur cherche à faire un objet très esthétique pour un client bourgeois.
Un graffiti sur monnaie repassée en circulation.
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Le XIXe siècle a vu fleurir une très importante et très violente presse satirique portant des illustrations de grands dessinateurs. On pense à Honoré Daumier, Cham, Grandville, Gustave Doré, Sem… Ce vent de liberté caricatural qui flotte alors sur les monnaies peut-il être mis en rapport avec ce mouvement de presse ?
Christian SCHWEYER. Oui, le réflexe était institué. Le lien est avéré pour certaines médailles (la médaille de Waterloo de Félicien Rops par exemple). Pour les regravées populaire, c’est surtout une ambiance qui l’a encouragé.
La médaille de Waterloo.
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Contre la presse, le pouvoir politique caricaturé pouvait agiter la censure.
Qu’en était-il de ces monnaies qui, vous le soulignez à plusieurs reprises, étaient souvent, une fois modifiées, destinées à retourner dans la circulation afin de colporter leur message politique ?
Christian SCHWEYER. La censure a lieu vis-à-vis du dessin de presse
et de la médaille. La regravure de monnaies constitue sans doute une réaction à ces interdits. Elle appelle à son tour la répression. Au début du régime de Napoléon III, il va y avoir des enquêtes de police sur des monnaies mutilées ou modifiées.
Malgré les difficultés, les auteurs vont être retrouvés et condamnés.
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Pourquoi classer des monnaies à gravure érotique parmi les satiriques ?
Christian SCHWEYER. Parce que dans la confusion qui entoure tous ces types, les collectionneurs de satiriques les ont intégrées à leur champ de collection. Il a fallu les étudier et les classer. Au cours de l’étude, j’ai aussi découvert qu’à l’origine, des caricatures par affiche avaient initié ce principe : dessiner des corps sur le portrait de l’empereur, Napoléon Ier, puis, plus tard, Napoléon III. Bien que non satiriques, les regravées érotiques s’insèrent dans ce mouvement.
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D’autres pays que la France ont-ils également vu fleurir ce phénomène ?
Christian SCHWEYER. Oui, l’Allemagne au moment de la chute de Guillaume II,
Pie IX après la bataille de Mentana, fin 1867, la Reine Victoria, à la fin de son règne, Kruger, le Président de l’Afrique du Sud, pour ne citer que les mouvements les plus importants.
3 marks 1911.
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Existe-t-il encore de nos jours des monnaies ou billets satiriques ? (Je pense par exemple aux Hobos américains)
Christian SCHWEYER. Actuellement, il n’y a pas de mouvement important. Les hobos américains n’ont jamais été politiques. C’était une façon pour les SDF de se représenter sur la monnaie. C’est devenu un exercice de gravure sans contenu.
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Votre ouvrage propose une cotation pour ces monnaies. Quelle est, selon vous, la plus rare ?
Christian SCHWEYER. Ce n’est pas comme des frappes officielles. Il y a des tas d’œuvres uniques, soit en terme de casque, soit avec une coiffe originale. Elles ne font pas forcément des prix énormes.
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Existe-t-il un vrai marché pour ces monnaies ?
Christian SCHWEYER. Pour les médailles satiriques courantes oui. En ce moment, il est plutôt bas, inférieur à mes cotations. Pour les regravées cela varie beaucoup. Le marché peut se constituer si plusieurs collectionneurs construisent en même temps leur collection. Il peut disparaître aussi assez vite.
Monnaie satirique de la reine Victoria.
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Beaucoup de ces monnaies sont réalisées sur des pièces souvent en mauvais état et faciles à acquérir pour quelques euros voire moins. Les techniques actuelles n’offrent-elles pas un risque quand à des regravures contemporaines ?
Christian SCHWEYER. Il ya plusieurs articles sur les faux. Il y a, ne serait-ce qu’un an, les faux étaient majoritaires sur ebay. Aujourd’hui, ils ont presque disparu. Cela s’explique parce que les prix ont chuté. Le savoir-faire des graveurs amateurs d’aujourd’hui est cependant très médiocre comparé à celui de 1870.
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Y a-t-il un moyen de les détecter ?
Christian SCHWEYER. Une gravure fraiche sur une monnaie très usée se repère bien. C’est forcément un faux. Il y a aussi d’autres moyens.
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Votre ouvrage est la somme la plus importante existante à ce jour sur ce sujet. À lire la liste des remerciements que vous avez placée en tête, c’est une sorte de travail collectif ?
Christian SCHWEYER. On peut le dire. C’est avant tout une volonté individuelle très forte et un travail à marche forcée. En même temps, j’ai saisi toutes les occasions possibles pour impliquer d’autres personnes dans ce travail.
Médaille satirique à la double effigie de Napoléon III et Guillaumme I.
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Vous indiquez en Avertissement que l’écriture de cet ouvrage a suivi une démarche très politique de votre part. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Christian SCHWEYER. J’avais collectionné étant jeune. J’ai recommencé vers 2006 sur un peu tous les sujets, grecques, romaines, mérovingiennes. Quand j’ai découvert ce type de monnaie, cela a provoqué un vrai plaisir. Ce qui me plaisait, c’était la désacralisation. Une désacralisation à laquelle j’étais habitué dans mes combats politiques et syndicaux. Quand on se confronte aux dirigeants politiques, quelle que soit l’époque, on finit par les trouver petits, mesquins, repliés sur leurs egos et leurs intérêts égoïstes, au-delà des grandes causes qu’ils prétendent défendre. J’ai trouvé dans ces monnaies et médailles des critiques qu’on ne voit jamais dans la numismatique officielle, et pour cause, puisque le rôle de l’autorité monétaire est d’encenser l’autorité politique. Au fur et à mesure, en creusant les contextes d’apparition des regravures, j’ai approfondi ma connaissance politique de chaque époque et c’est ce qui fait la richesse des explications.