Peut-être n’utilisez-vous pas au quotidien des monnaies dites locales ou, de manière plus générique, « monnaies complémentaires », pourtant, elles existent depuis de nombreuses années, et dans de nombreux pays du monde, le plus souvent en toute discrétion et dans un but essentiellement social. Certaines n’entretiennent aucun lien avec les monnaies réelles ou « officielles », d’autres sont « indexées » sur elles. Par rapport aux Etats leur statut peut aller de simple tolérance, d’autorisation ou même d’interaction, lorsqu’elles peuvent être utilisées par les usagers pour payer des impôts ou des taxes par exemple.
On peut dire que les promoteurs de ce type de monnaies ont une véritable philosophie des échanges, basée sur la solidarité et la proximité. L’idée première a pu, et est encore parfois, la mise en place d’un Système d’Echange Local (SEL). Il s’agit de groupes d’individus vivant dans un même secteur géographique, qui vont échanger entre eux des compétences, des produits ou des savoir-faire. Mais rapidement, ce système de troc atteint ses limites et il faut arriver à comptabiliser ces échanges. C’est là que va apparaître la monnaie complémentaire. Elle peut être basée sur un critère temps : 1 heure = 60 unités d’échange. Cette monnaie complémentaire n’a pas vocation à s’étendre au-delà de sa zone d’activité, ni de remplir de fonctions d’épargne, et encore moins de supporter de fonction spéculative.
Elle va permettre de faire entrer les membres du SEL dans une autre dimension qui élargit ses possibilités puisque, contrairement au troc, on n’est pas tenu par une relation strictement bilatérale. Cette monnaie locale a donc pour but de permettre à une plus grande partie de la richesse créée par le travail local de rester sur place, d’où, l’espère-t-on, un effet bénéfique pour le développement de l’économie locale. Vers 2010 on estimait le nombre d’utilisateurs dans le monde à près d’un million de personnes, réparties dans 3000 associations situées dans une quarantaine de pays.
On a coutume de dire que la première monnaie complémentaire contemporaine est celle émise de 1930 à 1933 par la mairie du village de Wörgl en Autriche pour venir en aide aux habitants touchés par la crise. Elle tourna court et fut interdite par la Banque Nationale Autrichienne. On retrouve une même idée dans les années 1980 au Canada, où, à Vancouver, est créé le green dollar, qui durera quelques années. Aujourd’hui subsiste en revanche le Toronto dollar, basé lui sur des dollars canadiens, qui fonctionne très bien, et bénéficie même du soutien des autorités locales. Les Etats-Unis ont également vu se développer de telles monnaies et en comptent plus d’une soixantaine aujourd’hui. En Suisse, c’est la banque WIR, fondée en 1934 et basée à Bâle, organisme sans but lucratif, qui émet sa propre monnaie pour faciliter les échanges entre ses clients.
En Autriche, c’est le Chiemgauer qui est utilisé dans la province du Tyrol. Les employés municipaux reçoivent, d’ailleurs, 25% de leurs rémunérations dans cette monnaie et il est possible de l’utiliser pour payer ses impôts locaux. Sans parler de l’Amérique du Sud où la Colombie, le Brésil et le Venezuela ont largement contribué au lancement de telles initiatives.
Et d’ailleurs, que sont les miles distribués par les compagnies aériennes sinon une monnaie complémentaire permettant d’acheter des billets d’avion. Une vue plus large sur ces monnaies est disponible sur www.complementarycurrency.org.
La première initiative a vu le jour en 1958 à Lignières-en-Berry. Mais, sans doute trop novatrice, elle fut rapidement interdite par les autorités. Aujourd’hui, ces monnaies locales sont autorisées mais restent tout de même de portée très limitée. Elles sont très nombreuses et on peut même dire qu’il en nait de nouvelles sinon chaque semaine, du moins chaque trimestre : la Tinda en Béarn, le Bou’Sol dans le Pas-de-Calais, l’Elef à Chambéry, l’Eureu en Gascogne, le Doume à Clermont Ferrand, la Maillette à Saint-Malo, la Pêche à Montreuil… 20 grandes villes possèdent ainsi leur propre monnaie complémentaire. Une carte interactive de ces monnaies complémentaires qui présente à la fois celles déja existantes et celles en cours de création est d’ailleurs disponible sur « monnaie-locale-complementaire.net« .
QUEL INTÉRÊT POUR LES COLLECTIONNEURS ?
Même s’il n’a rien à voir quant aux motifs de sa création, on peut comparer ce phénomène à celui des monnaies de nécessité. Encore que, à notre connaissance, il n’y a, en la matière, que des billets. Bien sûr, leur fabrication n’a en aucun cas pour but de satisfaire les collectionneurs, comme ce fut le cas des pièces et billets en ECU ou en EURO des années 90. Ils sont d’une très grande variété visuelle, toujours en relation directe avec la zone géographique d’émission. Et là encore, la création même peut revêtir un caractère participatif. Ainsi, certaines communes ont lancé des concours de dessin pour illustrer leurs coupures. Ce fut le cas au premier semestre de Martigné-sur-Mayenne, à Narbonne pour la création du Cers, à Chateau-Chervix (Haute-Vienne) pour Lou Pelou ou de l’association « Pour une monnaie locale en pays de Rance ».
Quel que soit le nom adopté pour la devise, il existe un choix de valeurs faciales finalement assez « commun », de 1 à 50 maximum généralement. Pourquoi « commun » ? Parce que l’on aurait pu trouver des billets de 2,5 ou 3 unités par exemple. A ce jour, il n’existe pas de catalogue, et encore moins de cotation, mais, si l’objet continue à se développer où si les émetteurs décident de changer régulièrement les visuels, on peut imaginer que cela va venir. D’autant que ces séries sont généralement émises en petites quantités, ce qui en favorise la rareté. Un seul bémol, leur impression reste très « basique » ce qui peut toujours faire craindre que les plus rares pourraient un jour être contrefaites par n’importe quel imprimeur. Dans tous les cas, il s’agit là d’un nouvel objet de collection numismatique qui offre de plus en plus de choix et qu’il ne faut pas négliger !
Mais ces expériences restent assez fragiles. Le trueque argentin a ainsi été victime d’une surestimation monétaire doublée d’une importante contrefaçon qui ont sapé la confiance des utilisateurs. Néanmoins, l’organisation, fin novembre dernier, des 10e rencontres des Monnaies Locales Complémentaires à Saint-Laurent-de-Neste (65) montre la vitalité de ces initiatives.
L’Eusko est la monnaie locale basque lancée par l’association Euskal Moneta. Crée en 2013, elle est considérée comme la plus importante de France en terme de volume d’échanges. A tel point qu’il est question qu’elle lance cette année, avant l’été, sa propre carte électronique de paiement. Avec 3000 utilisateurs, 550 prestataires (entreprises et associations) et 300.000 Euskos en circulation (1 Eusko = 1 Euro), cette monnaie complémentaire a vocation à favoriser les échanges infra-territoriaux en relocalisant une partie de l’économie et soutenant des initiatives locales comme de développement de la langue basque.
Pourquoi donc essayer de dématérialiser ces échanges en créant une carte de paiement ? Afin de débloquer le frein relatif au paiement des factures à distance. Car aujourd’hui, il y a 25 bureaux de change qui distribuent ces billets de valeur faciale de 1 à 20 Euskos, mais leur usage reste limité au commerce de proximité. Il y aura néanmoins de lourdes étapes juridiques et techniques à franchir avant d’y aboutir et, probablement, la nécessité de s’adosser à un établissement financier déjà agréé.