Certaines pièces, notamment medievales, ont été utilisées des siècles durant… Beaucoup de gens pensent à tort que la mort d’un Roi entraînait la suppression des pièces à son nom et que les monnaies du royaume étaient toutes remplacées par celles de son successeur. Une telle mise à jour eut été fort coûteuse. C’est pourquoi en réalité, l’utilisation des pièces anciennes était monnaie courante.
Pénurie de petites monnaies
Il est très compliqué de s’en rendre compte aujourd’hui, parce que nous sommes habitués à un accès facile aux pièces de monnaie de toutes les valeurs et à ce que les commerçants nous rendent aisément la monnaie, mais la situation était très différente depuis le bas Moyen Âge jusqu’à la Révolution. A cette époque, on manquait constamment de monnaies, en particulier les petites valeurs indispensables aux transactions quotidiennes et au commerce de proximité. La raison en est très simple : la rentabilité pour l’émetteur ! En effet, la production monétaire induisait des frais fixes qui revenaient à la charge de l’émetteur. Ces frais fixes étaient principalement constitués du coût de la main d’œuvre, puisque les ouvriers monétaires, monnayeurs et ajusteurs, étaient payés à proportion des quantités produites.
Au XVIIIe siècle, ils recevaient deux sols par marc d’or traité et un sol par marc d’argent. S’y ajoutaient les frais liés au matériel, notamment la gravure des coins, très onéreuse, les diverses marchandises indispensables, et bien d’autres choses encore… On comprend alors aisément pourquoi le Roi préférait employer ses ouvriers monétaires à la frappe des grosses pièces d’or qu’à celles des menues monnaies de cuivre.
A ce titre, le cas Louis XVI (1774-1792) est particulièrement édifiant puisque la pièce d’un double louis d’or, ci-dessous, valait trois mille huit cent quarante fois plus que celle d’un liard de cuivre (lui aussi ci-dessous)…
Une très longue durée de circulation
A la fin du Moyen Âge, qu’un Roi ordonne la frappe d’une quantité significative de petites pièces de faible valeur et ses sujets lui en rendent grâce avec beaucoup de ferveur. Toutes les sources archivistiques confirment qu’il faut vraiment imaginer une situation de pénurie constante de petites monnaies, notamment de cuivre. Les solutions pour y remédier n’étaient pas nombreuses et la principale était tout simplement le long maintien des monnaies anciennes en circulation, parfois des siècles durant !
En 1903, Paul Soullard (1839-1930), numismate de la Société Archéologique de Nantes, avertissait ses collègues : “il est bon de remarquer que le numéraire gallo-romain, extrêmement abondant, a circulé fort longtemps. Il y a une cinquantaine d’années, des grands et moyens bronzes étaient souvent passés pour des deux sous et des sous” !
Mais, ne nous y trompons pas, même les monnaies d’or restaient longtemps en circulation. En témoigne l’édit royal de Louis XIII (1610-1643) du 18 novembre 1641 qui établit le nouveau cours des espèces d’or & d’argent, tant de France qu’étrangères. Parmi ces espèces, on relève certaines monnaies frappées aux XIVe et XVe siècles, comme le franc à pied de Charles V (1364-1380) dont la valeur est établie à cinq livres et quinze sols, alors qu’il avait été frappé deux cent soixante seize ans auparavant !
Les blancs aux multiples vies
Le cas des petites monnaies de billon, notamment les blancs et les gros des XIVe et XVe siècles mais aussi les douzains du XVIe, est un peu différent. Ces pièces sont très nombreuses et elles intéressent vivement les caisses de l’Etat… Aussi vont-elles subir mutations, contremarques et surfrappes au bénéfice du Trésor…
Ainsi, l’édit du 7 juillet 1640 décide de porter le cours des blancs, gros et douzains, de douze à quinze deniers tournois. Pour cela, les pièces devaient être apportées aux Hôtels des Monnaies pour y recevoir la fameuse contremarque à fleur de lys, si courante aujourd’hui encore. Bien entendu, cette opération était aux frais, non du Roi, mais du porteur des monnaies qui devaient payer deux deniers tournois par pièce sur les trois deniers de valeur ajoutée par la contremarque. Ceci revient à peu près à dire que lorsqu’un particulier apportait dix pièces, il était contraint d’en abandonner une au Trésor qui lui assurait pourtant qu’il y avait gagné entre deux… Est-il nécessaire de préciser que l’édit royal était très strict et contraignant puisqu’il établissait un délai de deux mois seulement et, passé ce délai, toutes les monnaies non contremarquées devaient être confisquées au bénéfice de l’Etat !
Normalement, cette contremarque ne devait être apposée que sur les monnaies royales, mais beaucoup de pièces féodales et étrangères, plus légères, furent frauduleusement contremarquées et ainsi surévaluées… De même, les poinçons à la fleur de lys ne devaient être réalisés que par le Graveur Général des Monnaies, mais la contremarque étant si simple à falsifier, les faussaires furent légions… L’Etat n’est donc pas le seul à s’être largement enrichi dans cette opération. Evidemment, malgré la rigueur de l’édit royal et des prorogations du délai, une large part des blancs, gros et douzains ne fut jamais apportée aux Hôtels des Monnaies pour y être contremarquée. Aussi, Louis XIV (1643-1715), par arrêt du Conseil d’Etat du 20 janvier 1644, décide que tous les blancs, gros et douzains encore en circulation, contremarqués ou non, auraient désormais cours pour quinze deniers tournois. Mesure moins rentable certes, mais efficace, simple et rapide…
Un nouveau sujet d’étude
Cependant, lorsqu’en octobre 1692 Louis XIV introduisit un nouveau type de pièces de billon, le quinzain aux huit L, il ordonna la frappe de monnaies sur flans neufs, mais aussi la surfrappe des blancs, gros et douzains.
Aussi, sur certains de ces quinzains de Louis XIV peut-on encore discerner les traces de l’ancienne monnaie, parfois antérieure de plusieurs siècles. Il existe aussi des quinzains frappés sur des monnaies medievales, elles mêmes contremarquées d’une fleur de lys en 1640 ! La surfrappe recouvre donc la contremarque et atteste ainsi trois vies successives pour une même pièce !
Comme la plupart des monnaies de l’Ancien Régime, ces quinzains furent progressivement retirés de la circulation et refondus. Mais, leur suppression complète et définitive n’arriva qu’au milieu du XIXe siècle. Ainsi, de contremarques en surfrappes successives certains blancs et gros médiévaux circulèrent durant près de cinq siècles !
Aujourd’hui, grâce à de nouveaux procédés d’analyse, des tests sont réalisés pour rechercher les traces des monnaies antérieures “cachées” sous les surfrappes. Ceux-ci sont notamment entrepris par le laboratoire nantais Arc’Antique selon des procédés de microtopographie. Si ces tests s’avèrent concluants, il deviendra alors possible d’étudier l’ampleur des réemplois monétaires. Ceux-ci étaient pour la plupart légaux et encadrés par le Roi, mais certains étaient totalement illégaux…
A n’en pas douter, c’est également un sujet de collection stimulant pour le numismate féru d’histoire et attentif aux détails.