Le 11 septembre dernier, la Banque Centrale du Yémen, provisoirement située dans la capitale par intérim Aden en attendant la fin des combats avec les rebelles Houthis, a annoncé la sortie prochaine d’un nouveau billet de 200 rial. En effet, le pays est touché par de très violents combats opposant le gouvernement soutenu par une coalition de pays arabes Sunnites, les rebelles chiites Houthis soutenus par l’Iran et plusieurs groupes terroristes se revendiquant d’AQPA ou de Daesh. Seule l’aide financière considérable apportée par l’Arabie Saoudite voisine qui souhaite en finir définitivement avec la rébellion Houthis aussi présente au sud du pays, permet à cette Banque Centrale en exil d’émettre de nouveaux billets répondant aux dernières exigences de sécurité.
Le rial du Yémen est hérité du fameux Thaler de Marie Thérèse d’Autriche largement diffusé dans la région grâce au succès du café « Moca », du nom du même port yéménite chargé de l’exportation de ce café en Europe au XIXe siècle. La qualité reconnue de l’argent contenu dans les Thalers explique pourquoi les commerçants yéménites exigeaient d’être payés dans cette monnaie. Jusqu’en 1990, le Yémen était divisé en deux pays distincts : la République Arabe du Yémen au Nord et la République Populaire Démocratique du Yémen au Sud, chacun disposant de sa propre monnaie ; le rial au nord et le dinar au sud.
Durant une période de transition de 5 ans, les deux monnaies ont continué de circuler conjointement avec un taux de change fixe de 1 dinar pour 26 rial, jusqu’à ce que le dinar ne soit retiré de la circulation le 11 juin 1996. Pendant les 10 années suivantes, le Yémen connait un développement économique encourageant mais le pays est dominé par le dictateur Ali Abdallah Saleh, dirigeant du Yémen Nord depuis 1978 avant de devenir président à vie du Yémen unifié.
Les groupes terroristes s’implantent également dans le pays à la faveur des migrations venant de la Somalie déjà contrôlée par les islamistes shebab. Pour lutter contre ce terrorisme favorisé par la pauvreté, la Banque Mondiale accorde un prêt de 2.3 milliards de dollars en 2005 suivis de plusieurs prêts de quelques centaines de millions en 2006 et 2007 mais ils ne suffisent pas à enrayer l’appauvrissement de la population et ce, malgré l’abondance des ressources agricoles et pétrolières du pays. 80% de la population vit alors sous le seuil de pauvreté et le pays reçoit plus de 1000 réfugiés somaliens par mois.
En 2010, le pays est touché par une crise économique qui provoque une inflation des prix. L’Arabie Saoudite apporte son soutien financier mais le courant révolutionnaire des « Printemps Arabes » de 2011 touche le pays de plein fouet. Le président Saleh promet de ne pas se présenter pour un nouveau mandat et d’organiser des élections démocratiques mais il est contraint de se réfugier en Arabie Saoudite après une attaque menée contre le palais présidentiel en juin 2011. Il n’accepte cependant de laisser sa place au vice-président Mansour Hadi qu’en février 2012, ce dernier est depuis lors le président du gouvernement officiel reconnu par les instances internationales mais il doit faire face à une terrible guerre civile qui l’oppose à la rébellion de la minorité chiite Houthis depuis juin 2014.
Les rebelles parviennent alors à s’emparer de tout l’Ouest et des principales villes du pays entre 2014 et 2015 tandis que les forces loyalistes se partagent le reste du pays avec les terroristes d’AQPA et de l’EI au Yémen. L’Arabie Saoudite apporte alors un 1 milliard de dollars d’aide à la Banque Centrale du Yémen pour qu’elle continue à payer les fonctionnaires de l’Etat mais cela ne suffit pas à enrayer la chute du rial qui tombe à 500 pour 1 dollar en 2014.
Le 25 mars 2015, après la prise de Sanaa par les rebelles Houthis, l’Arabie Saoudite prend la tête d’une coalition militaire de pays musulmans désireux de restaurer l’autorité du président Hadi mais les bombardements de la coalition ne permettent pas aux loyalistes de reprendre le contrôle du pays et encouragent au contraire le djihadisme.
Etrangement, jusqu’à l’été 2016, les autorités Houthis qui contrôlent la capitale Sanaa maintiennent les activités de la Banque Centrale et lui permettent toujours de payer les salaires des fonctionnaires de l’ensemble du territoire mais l’intensification des combats oblige, en août 2016, la Banque Centrale à déménager pour s’installer dans le port d’Aden, devenue la capitale provisoire du gouvernement.
L’Arabie Saoudite lui verse alors dès janvier 2017 une aide de 2 milliards de dollars pour alimenter ses caisses et lui permettre de continuer à émettre des billets. C’est probablement cette aide qui permet aujourd’hui à la Banque Centrale, après une période nécessaire d’élaboration et d’étude des besoins, de proposer un nouveau billet d’une valeur courante très utilisée, le billet de 200 rial. Ce billet de 150 par 69 mm, de couleurs dominantes jaune et orange, représente la fameuse forteresse de Zabid située dans la province d’Hodeidah sur l’avers et un paysage typique de la région d’Al-Mahra sur le revers. Toutes les écritures sont en arabe sur l’avers et en anglais au revers. Selon le calendrier musulman le billet est daté de 1439 tandis qu’il est daté d’août 2018 sur le revers. La forteresse de Zabid protège la ville qui fut la capitale historique du Yémen du XIIIe au XVe siècle. Alimentée en eau par un vaste réseau de canaux, elle abritait un grand nombre de mosquées et une université islamique prestigieuse qui rayonnait sur toute l’Arabie.
Toute la ville a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1993 et c’est l’une des 4 portes qui apparait sur l’avers de ce billet. La province d’Al-Mahra, située à la frontière avec le sultanat d’Oman est une région montagneuse touchée par les moussons qui transforme le paysage désertique en vallées luxuriantes à la végétation abondante de juin à septembre. L’introduction de ce nouveau billet intervient en même temps que l’annonce d’une série de mesures visant à contenir l’inflation et à freiner la chute de la valeur du rial. Ainsi, les taux d’intérêt sur les dépôts sont fortement augmentés pour encourager à mettre l’argent en circulation, et tout transfert de fonds vers l’étranger est interdit sans accord préalable des autorités.
Le Yémen est encore aujourd’hui touché par une grave crise humanitaire qui affecte principalement les enfants et les plus faibles dans toutes les zones contrôlées par les rebelles et les groupes terroristes, à cause de l’embargo drastique imposé par la coalition arabe menée par l’Arabie Saoudite ainsi que par les frappes militaires incessantes de cette même coalition, qui empêchent le commerce et donc l’approvisionnement de nombreuses villes où se sont réfugiées les populations civiles. Ainsi, selon les derniers rapports de l’ONU, dans ce conflit très peu couvert par les médias internationaux, près de 8.5 millions de Yéménites sont en situation d’urgence humanitaire. Il est donc difficile de savoir dans quelle mesure ces nouveaux billets pourront entrer en circulation dans tout le pays et qui pourra y avoir accès.
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Rédacteur en Chef : François Blanchet
Rédaction : Alain Archambaud, François Blanchet, Bruno Collin, Pierre Delacour, Frédérick Gersal, Isabelle Grandjean, Eduardo Gurgel, Olivier Libaud, Gildas Salaün, Serge Wiotte