Juin 1940 ! C’est la déroute des forces françaises, et l’invasion de l’Allemagne, fulgurante, brutale, sans appel. Côté finances, il y a urgence : éviter à tout prix que l’ennemi puisse mettre la main sur les réserves d’or de la Banque de France. On s’occupe, en hâte, d’évacuer les réserves de France. Deux cargaisons furent embarquées à Brest, l’une atteignit la région de Dakar, l’autre la Martinique
En réalité, il y a beaucoup de monde, qui s’intéresse de près au trésor français… Qui sont les protagonistes de cette affaire ? La Banque de France, tout d’abord, c’est l’évidence, qui doit faire diligence pour tenter de sauver son trésor. Ensuite, l’occupant allemand pour qui cette petite fortune tomberait à point nommé comme prise de guerre par exemple ; le gouvernement « officiel » de Vichy et de Pétain ; nos alliés de l’époque, Anglais et Américains qui ont bien besoin de fonds supplémentaires ; et enfin ceux de la France libre… Ce qui fait beaucoup de monde à convoiter le métal précieux, qu’on va tenter de sauver.
Une fois rassemblé, ce trésor consiste en environ 4000 sacs et sacoches remplis de pièces et médailles d’or, complétés par 800 caisses de lingots de même métal, le tout représentant douze milliards de francs 1940.
Il avait été stocké dans une casemate du fort Desaix, mais, sacs et sacoches étaient déjà usés et risquaient de se détériorer rapidement sous le climat tropical. Aussi avaient-ils été remplacés par des caisses en bois local cerclées de feuillards et manipulables à bras, c’est-à-dire pesant environ 35 kilos.
Il y en avait 9766, ce qui, avec les caisses de lingots de 50 kilos, représentait un total de plus de 350 tonnes. Naturellement ce dépôt d’or, en ce lieu, avait été un des sujets des propagandes opposées des belligérants.
Dès l’entrée en guerre des États-Unis, la presse américaine avait fait pression sur son gouvernement pour qu’il « en assure le contrôle… dans l’intérêt futur de la France » et le gouvernement allemand « s’inquiétait », vertueusement, de cette mainmise éventuelle.
Le patron de l’opération que l’on pourrait appeler « transfert d’urgence du trésor français » s’appelait l’amiral Robert, qui n’avait pas, on en conviendra, la tâche facile. A toute vapeur, il va transporter les 350 tonnes de métal précieux vers la Martinique et Fort-de-France. Là, attendaient avec impatience, d’une part le représentant de la Banque de France, et d’autre part, un « observateur », pour employer un terme mesuré, des États-Unis d’Amérique. On a beau être alliés, on en est pas moins prudents !… Les lingots, quant à eux, furent entassés dans un endroit sûr au fort Desaix. Et c’est ainsi que pour calmer les soi-disant inquiétudes américaines, l’amiral Robert avait admis la présence, à la Martinique, d’un « observateur » américain qui, entre autres « contrôles », pouvait vérifier, de visu, lorsqu’il le désirerait, que l’or était toujours dans la casemate du fort Desaix. L’occupant allemand, de son côté, s’aperçut vite qu’il avait été berné. Et pour la seconde fois, puisque la Banque de France, selon le proverbe bien connu, avait pris grand soin de ne pas mettre tous ses oeufs, dans le même panier.
C’est ainsi, qu’un autre trésor en réserve d’or, avait été acheminé, lui, sur Dakar ! C’est peu dire que de ce côté là le gouvernement allemand insista lourdement, quand ce n’était pas sur un ton menaçant à peine voilé, pour que le gouvernement français de Vichy, rapatrie l’or de la Martinique et aussi celui de Dakar ! Vichy s’en tira, en jurant ses grands dieux, que la tâche était impossible, compte tenu de l’énorme puissance des forces navales alliées, qui tenaient la maîtrise des mers. Et qu’il valait encore mieux, que le trésor reste en lieu sûr, plutôt que de tomber dans l’escarcelle des ennemis anglo-américains. Les Allemands n’étaient pas tout à fait dupes, mais l’argument porta.
L’affaire cependant allait rebondir, d’autant plus qu’en 1943, un élément nouveau venait de se produire.
L’AFRIQUE ENTRE EN GUERRE
En effet, au printemps 1943, arrive la rentrée de l’Afrique française entière dans la guerre… avec « l’or de Dakar » ! Aux côtés des Alliés, le gouvernement américain avait décrété le blocus des Antilles françaises afin de les contraindre à rallier le Comité français de libération d’Alger et, bien entendu, le gouvernement allemand, fort du précédent de Dakar, avait obligé le gouvernement captif de Vichy à ordonner à l’amiral Robert, s’il se voyait contraint de céder au blocus, d’opérer à temps « le sabordage des navires et l’immersion de l’or par grands fonds ! »
C’est alors que s’était déroulée une partie serrée de « double jeu » par télégrammes, entre l’amiral Robert et Vichy sous le « contrôle » impitoyable de l’occupant.
Bien sûr, l’amiral Robert fit en sorte de manœuvrer, de tenir le plus longtemps possible d’éviter d’envoyer par le fond, le trésor de la Banque de France. Dans ses télégrammes au gouvernement de Vichy, il précise même, « vous avez compris la manœuvre politique par laquelle je m’étais proposé d’éluder les ordres de sabordage et d’immersion de l’or, évidemment dictés par l’occupant, sans que cette décision entraîne des représailles de ce dernier contre la métropole. Bien que cette manœuvre ait été éventée au dernier moment, son résultat n’en a pas moins été atteint… »
Manœuvre qui rendit fou de rage le dit occupant qui ne manqua pas d’en marquer son dépit. L’or français n’irait pas au fond de l’océan, mais on avait eu chaud. Quelle aventure que ce transfert du reste depuis 1940 !
Revenons un instant sur son rocambolesque trajet de la France aux Antilles, de Brest à Fort-de-France. Le 10 juin 1940 donc,un chargement de 350 tonnes d’or fin est embarqué à Brest, à bord du croiseur Émile Bertin. Ce bâtiment, commandé par le capitaine de vaisseau Battet était, en effet, arrivé à Halifax le 18 juin 1940… Vu la demande d’armistice faite par la France et constatant l’évolution des relations anglofrançaises qui en découlait, le commandant Battet avait cru bon de demander à l’amirauté française s’il devait y débarquer son chargement, ou attendre de nouvelles instructions. La réponse arriva le 21 juin sous la forme : « Ralliez Fort-de-France avec votre chargement précieux.«
A ce moment l’amiral anglais commandant la base, après plusieurs prétextes « cousus de fil blanc », lui avait avoué avoir reçu de Londres l’ordre d’empêcher l’appareillage des navires français. Aussitôt le commandant Battet avait rendu compte à l’amirauté française : « Autorités navales anglaises me font savoir que, par ordre de leur gouvernement, elles s’opposeront par la force à mon départ. Stop. Ai informé ambassade de France à Washington et amiral Antilles. Stop. Je prends vos ordres pour sortir par la force. Stop. Chances de réussite : une sur trois ».
L’amiral Robert, commandant en chef aux Antilles françaises était intervenu près de l’amiral Purvis, commandant en chef anglais de l’Ouest Atlantique, et l’amirauté française avait prié l’amiral Odend’al, chef de la Mission navale française à Londres, de protester auprès de l’amirauté britannique.
Sur place le commandant Battet était revenu à la charge près de l’amiral anglais Bonham-Carter :
– Mettez-vous à ma place, amiral, lui avait-il dit. Si vous receviez, de votre amirauté, l’ordre d’appareiller et que l’autorité étrangère locale veuille vous empêcher de le faire… que feriez-vous ?
Avec une grande émotion l’amiral anglais lui avait répondu :
– Je ferai comme vous !…
Puis, après un instant de silence, il avait ajouté vivement :
– Allez ! Partez vite… avant que je reçoive confirmation formelle d’ordres qu’il me serait impossible d’éluder… »
C’est ainsi que, pris en filature, dès sa sortie d’Halifax, par le croiseur lourd Devonshire jusqu’à la hauteur des Bermudes, le Bertin avait rallié Fort-de- France, avec son « chargement précieux » le 24 juin 1940.
LA GUERRE EST FINIE
La guerre est finie ! En Europe comme ailleurs, et comme aux Antilles. Nous sommes en 1946, entre-temps, les caisses d’or vont changer de lieu de résidence. On les porte à bord du croiseur Montcalm. Trois-cents soldats antillais amenèrent par camion les fameuses caissettes et caisses du fort Desaix jusqu’au quai du Carénage, où les hommes en shorts kaki et calots bleu foncé à l’ancre d’or de l’infanterie de marine les passèrent aux marins à pompons rouges échelonnés depuis les hublots jusqu’aux soutes de 152 mm.
Cette activité laisse présager un départ imminent. En effet, l’ordre est donné au Montcalm de faire route directe sur Cherbourg. Le croiseur reçoit ce message à la Guadeloupe, le dernier jour de février 1946. Il précisait l’étape finale d’une mission confiée à notre croiseur, un mois plus tôt à Toulon, et consistant à rapatrier le fameux « or de la Martinique ».
Il s’agissait des 350 tonnes d’or fin embarquées à Brest le 10 juin 1940 à bord du croiseur Émile Bertin et que les événements tragiques avaient conduites dans ce port. Le Montcalm arborait alors la marque du contre-amiral Jaujard ayant sous ses ordres la division composée de notre croiseur, du Georges Leygues et de la Gloire, qu’il commandait depuis les opérations de débarquement en France.
A bord du navire, la Banque de France, avait pris soin de placer un de ses représentants, avec mission d’accompagner, de surveiller peut-être, le précieux trésor, qui faisait route vers la France, après avoir échappé à l’occupant allemand, aux torpilles sous l’Atlantique à la convoitise des Alliés. Mais la diplomatie qui avait remplacé la guerre et les conflits armés, venait compliquer encore l’aventure du trésor français.
C’est que la France devait de l’argent, beaucoup d’argent, aux Américains. Le commandant du Montcalm suggéra, puisque le navire ne passait pas loin de New-York, de laisser à titre de provision une partie du trésor en Amérique. Mais la banque veillait et leur représentant expliqua que le gros de la cargaison étant composé de pièces et de médailles d’or de toutes sortes, y compris de dollars-or qui, d’après la loi monétaire américaine, sont comptés à la valeur du dollar-papier, la direction de la Banque, pour éviter toutes contestations sur les taux d’or fin et les cours de ces différentes pièces et médailles, décide de faire ramener tout ce chargement à Paris où pièces et médailles seront remises à la Monnaie qui les transformera en lingots ayant les dimensions, le poids et le taux d’or fin prévus par les règlements internationaux et, par suite, ne pouvant prêter à aucune discussion.
Les États-Unis attendraient un peu. Mais le trésor de la Banque de France, après avoir échappé à quantité de dangers, avait de grandes chances, si l’on peut dire, de fondre comme neige au soleil. Même si pendant toute la durée de la Deuxième Guerre Mondiale, le veau d’or français avait réussi à être toujours debout.