Article sur l’Édit de Nantes rédigé par Gildas Salaün
À l’issue de dix années de guerre civile, Nantes finit par reconnaître l’autorité d’Henri IV. Celui-ci séjourne dans la cité des ducs de Bretagne du 13 avril au 6 mai 1598 et signe le fameux édit de Nantes.
Des monnaies contemporaines de ces événements historiques viennent tout juste d’être identifiées. Nous vous les présentons pour la première fois ici…
Henri IV à Nantes
4 avril 1598, après des semaines de négociation, le maréchal de France, Albert de Gondi, duc de Retz, ancien gouverneur de la ville et du château de Nantes entre dans la cité dont il prend possession au nom du roi. Aussitôt, Gondi installe au château une garnison royale de cinquante hommes, puis il se rend à l’Hôtel de Ville où il reçoit le serment de fidélité des édiles qui l’acclament au cri de Vive Henri IV ! à la cathédrale enfin, il assiste à la messe donnée en l’honneur du monarque. Ainsi s’achevait la guerre de la Ligue qui ensanglantait la Bretagne depuis dix longues années, ainsi Nantes reconnaissait enfin Henri IV comme roi légitime.
C’est le 13 avril 1598, vers les six heures du soir, que le roi Henri fait son entrée à Nantes par la porte Saint-Pierre (figure 1). Accompagné de son état-major et de hauts dignitaires du clergé, il s’installe aussitôt au château. Rapidement, les autorités civiles et religieuses de la ville l’y rejoignent pour lui prêter serment. Durant son séjour, le roi reçoit de nombreuses marques de la fidélité de Nantes auxquelles le souverain répond par des attentions et des privilèges, comme le retour de la Chambre des comptes de Bretagne qui avait été transférée à Rennes au début de la guerre. Le roi ne manque pas aussi d’assoir son autorité sur la cité : il nomme un nouveau maire, Charles Harouys, l’un de ses fidèles, de nouveaux échevins, ainsi que de nouveaux officiers de la milice bourgeoise, tous choisis parmi ses partisans. Entre autres officiers de la Couronne, le maître de la Monnaie est également remplacé.
L’acte politique le plus connu d’Henri IV en séjour à Nantes intervient le 30 avril, c’est la signature du fameux « édit de pacification », surtout désigné comme « l’édit de Nantes ». Par celui-ci, le roi garantissait la liberté de conscience partout dans le royaume et il accordait la liberté de culte dans les lieux où le protestantisme était installé avant 1597. Cet acte, d’une immense portée politique, marque durablement l’histoire de France.
Une fois son autorité bien établie sur la ville soumise et pacifiée, Henri IV quitte Nantes le 6 mai 15981.
Du passage d’Henri IV à Nantes, il ne reste que très peu de souvenirs : une petite « place de l’édit de Nantes » et une « rue Henri IV », située non loin du château des ducs de Bretagne, devenu depuis 2007 le musée d’histoire de la ville. L’histoire de l’édit de Nantes marque le point de départ de l’exposition permanente de ce musée, mais le passage d’Henri IV reste difficile à évoquer, faute de traces matérielles.
Quelques rares pièces de monnaie peuvent cependant permettre de tenir dans le creux de la main un souvenir du passage d’Henri IV à Nantes.
1 Meuret, François-Claude, Annales de Nantes, Nantes, 1837. Les négociations et le séjour du roi à Nantes sont racontés en détails p. 133 à 143 du tome 2.
La monnaie, une affaire politique
Depuis 1573, la maîtrise de la Monnaie de Nantes était entre les mains de Florimond Fleuriot, issu d’une famille de la petite noblesse possessionnée le long de la Loire dans le pays d’Ancenis1. Vers 1585, Fleuriot s’associe à Antoine Bariller qui devient son « co-traitant ». Durant les treize années suivantes, Bariller reste dans l’ombre de Fleuriot… Mais, subitement en avril 1598, Bariller détrône littéralement Fleuriot. En effet, le 27 avril 1598, Bariller devient maître de la Monnaie en titre et, dans la foulée, il est élu échevin le 1er mai. Fleuriot n’avait jamais réussi à accéder à cette dignité. C’est assurément le changement de contexte politique qui explique la fulgurante ascension de Bariller et la disgrâce de Fleuriot. Il faut dire que Fleuriot avait parti lié avec la Sainte Ligue, alors que Bariller avait affiché son soutien à Henri IV. D’évidence, Bariller compte parmi les partisans récompensés par le roi.
Pourquoi tant d’égards ?
Le 31 mars 1598, un courrier non signé émanant de la Monnaie nantaise est adressé à la Cour des monnaies de France. L’auteur annonce qu’il a ordonné au graveur, Côme Ménard2, de réaliser rapidement, et du mieux qu’il pouvait, des matrices d’avers et de revers pour permettre la frappe de quarts et de huitièmes d’écu d’argent au nom d’Henri IV. L’auteur de ce courrier précise aussi qu’il a conscience que sa démarche est contraire aux procédures habituelles. Cependant, il justifie son initiative par le service au roi légitime et il précise qu’il aurait aimé pouvoir ordonner cette frappe monétaire plus tôt3. Grâce à cette initiative secrète, les premières pièces nantaises au nom d’Henri IV sont publiquement mises en circulation suite à la délivrance du 18 avril 15984, soit cinq jours après que le roi ait fait son entrée solennelle dans la ville soumise et alors que le monarque réside toujours dans la cité. Fait exceptionnel, cette délivrance se déroule « en presance de noble homme Jean Gilles président en La cour des monnaies de France », ce qui montre encore l’importance de l’événement nantais. Jean Gilles était venu à Nantes dès le 19 mars précédent pour faire l’état de la boîte de contrôle de la Monnaie de Nantes. Il avait alors constaté la présence de quarts et de huitièmes d’écu au nom du roi de la Ligue Charles X5 (figure 2). Ces pièces constituaient autant de monnaies décriées par le roi Henri qu’il fallait supprimer et remplacer avant son arrivée.
1 Augris, Christelle et Frédéric, Généalogie de la famille Fleuriot (région d’Ancenis), Saint-Herblain, 1998.
2 Salaün, Gildas, « Côme Ménard (1553-1604), maître orfèvre et graveur à la Monnaie de Nantes », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, t. 155, 2020, p. 115-140.
3 « faict comendemt au tailleur de promptement fre des pilles & trousseaulx de cars & huictmes descuz le mieux quil luy sera posible por fre travailler au nom du roy [… cette démarche est faite…] contre les formes ordinaires mais le service du roy et la court m’y ont contraint et suis bien mary que plus tost ne lay peu fre » Arch. nat. Z1b 389.
4 Michel, Olivier, Les émissions monétaires en Bretagne pendant la Ligue (1578-1599), thèse de doctorat sous la direction de Yves Coativy et de Philippe Jarnoux, Université de Bretagne Occidentale, Brest, 2022, 520 p. ; voir p. 452-453.
5 « Presence despesces denyers cars et uictiesmes soulz le nom de Carolus deximus » Michel, Olivier, op. cit.
C’est à la suite de cette inspection que la décision de faire réaliser de nouvelles pièces au nom d’Henri IV est prise. La capitulation de la ville se faisant de plus en plus probable, il devenait indispensable de s’assurer qu’il circule dans la cité des monnaies au nom et à la titulature du monarque légitime. Fleuriot étant ligueur, et souvent empêché par des ennuis de santé, c’est sans nul doute Bariller qui ordonne et coordonne la production de ces premières pièces nantaises loyalistes. Aussi, Bariller est-il certainement l’auteur du courrier anonyme du 31 mars 1598. Bien au-delà de l’aspect financier, c’est la portée symbolique de cette émission monétaire qu’il faut souligner, car ces pièces, portant pour la première fois à Nantes l’inscription « HENRICVS DG FRANC ET NAVA REX » (Henri par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre), constituaient autant de signes de l’allégeance nantaise. Rappelons que le droit de battre monnaie était un droit régalien, étroitement lié au pouvoir personnel du roi, d’où cette portée symbolique majeure.
Premières pièces nantaises pour Henri IV
Peut-on les reconnaître ?
Oui ! Grâce à l’analyse comparée des outillages monétaires. Une étude fine, facilitée par les moyens de l’imagerie numérique, a été effectuée. Cette étude fait apparaître que les quarts d’écu nantais au nom d’Henri IV millésimés 1598 se répartissent en deux séries. Celles-ci se distinguent notamment par la forme du quadrilobe placé au cœur de la croix à l’avers.
Sur la première série (figure 3), le quadrilobe adopte la forme d’un quatrefeuille agrémenté d’un point au centre et d’un autre point dans chaque demi-cercle (figure 6A). Ce quatrefeuille semble largement inspiré par celui que l’on retrouve sur les quarts d’écu frappés à Bayonne (figure 4). À Nantes, cette forme de quatrefeuille pointé constitue une spécificité propre au millésime 1598, car on ne la retrouve sur aucune autre monnaie nantaise frappée durant les années suivantes. Trois exemplaires ont été repérés. L’un est conservé au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France (inv. roy 9972). Les deux autres figurent dans des collections privées. L’analyse comparée de ces trois exemplaires montre qu’ils ont été frappés avec deux coins d’avers différents.
Sur la seconde série, la forme du quadrilobe est bien différente des pièces précédentes (figure 5). Composé de huit quarts de cercles, il ressemble presque à une fleur (figure 6B).
En revanche, ce quadrilobe est semblable à ceux figurés sur les quarts d’écu frappés depuis plusieurs années à Rennes et Toulouse (figures 7 et 8), deux ateliers loyalistes contrôlés par la Cour des monnaies.
Surtout, ce nouveau quadrilobe se retrouve sur les quarts d’écus nantais frappés durant les années suivantes (figure 9). Six exemplaires de cette seconde série ont été repérés : l’un est conservé au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France (inv. roy 9971) et les autres figurent dans des collections privées.
Conclusion
En conclusion, les coins ayant servi à frapper les pièces de la première série ont été gravés avec des outillages transitoires, temporaires, tandis que les matrices utilisées pour la production des quarts d’écu de la deuxième série ont été faits à l’aide de poinçons définitifs, ceux envoyés à Nantes par la Monnaie de Paris. Aussi peut-on affirmer sans l’ombre d’un doute que les poinçons de la première série sont ceux exécutés localement par Côme Ménard. Le graveur nantais les a fait, du mieux qu’il lui était possible, en s’appuyant probablement sur le modèle bayonnais.
Les quarts d’écu de la première série sont donc ces fameuses pièces frappées en signe d’allégeance à Henri IV et mises en circulation le 18 avril 1598, alors que le monarque était encore présent à Nantes.
Les pièces de la seconde série ont quant à elles été exécutées durant les mois qui suivirent, après que le matériel officiel ait été reçu de Paris.
Signalons enfin que les revers de tous les quarts d’écu nantais datés 1598 sont identiques : ils présentent une brisure du poinçon de la couronne (figure 10), détail caractéristique que l’on observe sur chaque quart d’écu frappé à la Monnaie de Nantes depuis 1594. Il apparaît donc que seuls les coins d’avers ont été mis à jour (remplacement du type de Charles X par celui d’Henri IV), tandis que les coins de revers (anonymes) ont été indistinctement réemployés, par mesure d’économie et probablement aussi pour accélérer la transition.
Voici donc comment ces petits bouts d’argent deviennent autant de morceaux de la grande histoire… C’est cela qui fait de la numismatique un passionnant média, car les pièces permettent parfois de toucher l’histoire !
Des études complémentaires, coordonnées par le laboratoire Arc’antique à Nantes, sont en cours. Celles-ci comprennent notamment un volet d’analyses physico-chimiques effectuées par le GIP ARRONAX et par Subatech Nantes. Les conclusions seront publiées dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique 2023. Une histoire à suivre…