L’écu dit « au vertugadin » de Louis XV
L’écu dit « au vertugadin » et ses divisions forment une jolie série monétaire créée selon l’ordonnance du 14 décembre 1715 et produite jusqu’au début de l’année 1718. Celle-ci venait remplacer les rarissimes écus, demi-écus et quarts d’écus aux trois couronnes créés dans l’urgence un mois plus tôt afin d’assurer la « mise à jour » du portrait royal sur les monnaies suite au décès du Roi Soleil, survenu le 1er septembre 1715. En effet, tout comme en 1643, à la mort de Louis XIII, on a simplement changé l’avers et conservé le revers pour mettre rapidement à jour l’effigie royale, mais en évitant toute rupture dans la production monétaire.
Source Monnaie Magazine : Monnaies Royales
par Gildas SALAÜN, responsable du Médaillier au Musée Dobrée à Nantes
La première monnaie de Louis XV
Ainsi, l’écu aux trois couronnes n’est finalement que la simple continuité du type créé par Louis XIV le 14 mai 1709. C’est donc pour cela que l’écu dit « au vertugadin » doit être considéré comme la première monnaie de Louis XV.
L’écu au vertugadin ayant été créé dans les tous derniers jours de l’année 1715, il est logique que les plus anciens exemplaires que l’on retrouve aujourd’hui portent généralement le millésime de 1716. Bien rares sont les pièces à la date de 1715.
La série au vertugadin comprenait cinq valeurs différentes : l’écu, le demi-écu, le quart d’écu, le dixième d’écu et vingtième d’écu. Toutes les pièces de cette série étaient au titre de 91,7 % d’argent, mais chaque échelon répondait aux caractéristiques ci-dessous.
A l’avers, qui reprend celui de l’écu aux trois couronnes dont nous parlions précédemment, figure le portrait de l’enfant roi, car Louis XV n’est alors âgé que de cinq ans et demi. Le buste du roi est tourné à droite, drapé et cuirassé à l’Antique, la tête nue, sans perruque ni couronne. Bien qu’il ne signe pas son oeuvre, ce beau portrait, qui magnifie habilement la fonction royale malgré la jeunesse de son titulaire, est dû à Norbert Roëttiers, Graveur Général des Monnaies de 1704 à 1727.
La mauvaise réputation
Le plus souvent, on voit sous le buste une sorte de petite rose. Ce symbole est la marque distinctive des « réformations ». En effet, les pièces au vertugadin se classent en deux grandes catégories : celles frappées sur flans neufs, assez rares, et celles, beaucoup plus courantes, frappées sur flans réformés, c’est-à-dire refrappées sur d’anciennes monnaies… Cette opération permettait d’augmenter « artificiellement » la valeur des pièces sans même prendre le temps de les refondre. Dans le cas présent, les écus aux trois couronnes, qui avaient été dévalués à trois livres et demi, se retrouvent réévalués à cinq livres par la simple transformation en vertugadins ! Autant de profit pour l’Etat car… lorsque les particuliers apportaient dix anciens écus décriés aux Hôtels des Monnaies, ils en ressortaient avec sept nouveaux réformés et la garantie du roi qu’ils avaient la même valeur en poche ! Est-il nécessaire de dire qu’un tel procédé n’était pas du tout apprécié des usagers…
Et c’est probablement ce ressentiment qui explique l’appellation peu glorieuse, le sobriquet devrait-on dire, par laquelle on désigne aujourd’hui encore ce modèle monétaire qui pourtant, dans les écrits officiels de l’époque, apparaissait régulièrement sous le sobre nom « d’écu neuf ». Mais au juste, qu’est-ce que le vertugadin ? D’où vient ce nom ? Le vertugadin est une déformation d’un mot portugais (« vertugo » vertige) désignant les baleines d’osier ou de métal, sortes de cerceaux concentriques, permettant de créer un volume en cloche sous les robes alors à la mode. C’est la forme circulaire de l’écu de France, inhabituelle il est vrai, représentée au revers de la pièce qui a engendré cette moquerie. En outre, les robes à vertugadin étaient aussi surnommées des « caches enfants »… La jeunesse du roi a probablement aussi conforté cette désignation. On comprend alors pourquoi, sur les types suivants, l’écu de France n’a jamais plus été représenté en rond…
Cela fait donc trois siècles que la vindicte populaire a frappé d’infamie ces monnaies que l’on continue d’appeler « vertugadin ». Et pourtant, en ce début de nouveau règne, la frappe massive de ces écus était des plus importantes, primordiale même, car elle permettait à la fois de faire connaître l’image du nouveau roi, mais plus encore, d’assurer les énormes entrées financières indispensables à l’Etat aux abois. La sagesse populaire sait que la mauvaise réputation est tenace, cela se vérifie également en numismatique…
Source Monnaie Magazine : Monnaies Royales
par Gildas SALAÜN, responsable du Médaillier au Musée Dobrée à Nantes
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