par Eduardo Gurgel
A partir de 1305 les papes sont installés en Avignon, ils sont proches des puissants souverains capétiens. Depuis la fin du xe siècle, ils n’émettent plus de monnaies à leur nom et se contentent de frapper des deniers au nom du Sénat romain. En quittant Rome, ils retrouvent l’occasion de frapper des monnaies en tant que papes de la chrétienté occidentale. Ainsi, à partir du xive siècle, les monnaies papales n’ont de cesse de se multiplier et de se diversifier. En effet, chaque nouveau pape n’osant pas retirer les émissions de ses prédécesseurs se contente de rajouter sa nouvelle frappe qui vient s’additionner aux précédentes. Le système monétaire pontifical devient alors l’un des plus riches et des plus complexes de l’Occident.
ENTRE AVIGNON ET ROME
Du XIe au XIIIe siècle, les principales monnaies de Rome sont toujours émises par l’autorité papale, en tant que premier législateur de la cité, mais elles le sont « au nom du Sénat et du peuple romain » que le pape représente civilement. Deux ateliers distincts semblent pourtant exister, l’un au bas du capitole, contrôlé directement par le Sénat et l’autre en face du château Saint-Ange, contrôlé par le pape. Les émissions sont cependant les mêmes puisqu’elles portent presque toujours la mention « SPQR ». Les imitations romaines des « deniers provinoi » émis par l’une des plus prospères villes de foires françaises sont alors les monnaies les plus courantes en raison des collectes abondantes faites en France au XIIIe siècle pour soutenir les croisades. La monnaie romaine prend alors le nom de « provinois du Sénat ».
A la fin du XIIIe le pape Boniface VIII, qui doit affronter les revendications du roi de France Philippe le Bel et de ses alliés, la famille romaine des Colonna, ressent le besoin de rappeler son autorité en émettant une nouvelle monnaie à l’occasion de la célébration de la première « année sainte », un « jubilé » qu’il vient alors tout juste d’instituer et devant être célébré tous les 25 ans. Ainsi, il fait frapper en 1297, une pièce sur laquelle apparaissent à nouveau les visages de Saint Pierre et de Saint Paul avec la légende « Romani Principes ». Cette pièce sera alors appelée « sampierino ».
Malheureusement, la santé du pape Boniface VIII ne résiste pas à l’affront qu’il subit et il meurt quelques semaines seulement après sa rencontre avec Guillaume de Nogaret à Anagni en 1303. Il est remplacé par le faible Benoît XI qui a tout juste le temps en une année de pontificat de faire annuler toutes les décisions pouvant vexer le roi de France avant de mourir à son tour en 1304. Philippe le Bel peut alors user de toute son influence auprès du clergé de France et du clan romain des Colonna pour faire élire un pape acquis à sa cause et l’installer à Avignon en 1305. Le pape Clément V est alors le premier à siéger définitivement hors de Rome à partir de 1309, la ville étant jugée peu sûre en raison des luttes entre clans.
En Avignon, n’étant plus lié au Sénat Romain, le pape peut à nouveau émettre des pièces à son nom en tant que souverain pontife. A cette époque, l’administration pontificale, afin de distinguer les différentes émissions des Etats Pontificaux, choisit de prendre pour référence une monnaie héritée du denier carolingien frappé à Bayeux et donc baptisée « baïoque » ou « baïocci ». Ainsi, la première monnaie d’argent frappée par le pape est un gros ou grosso d’argent valant 10 baïoques. Emise vers 1305, elle symbolise le retour du monnayage proprement pontifical car elle porte les armes du pape. Rebaptisée « gros papalin », elle est frappée dans un ancien atelier dépendant du comte de Toulouse dans le Comtat Venaissin. Elle est alors appelée aussi « Clémentins » en l’honneur du pape Clément V dont elle affiche la tête coiffée d’une mitre.
Ses successeurs, Jean XXII et Clément VI frappent aussi des monnaies d’argent, cette fois-ci dans un atelier installé à Avignon même, imitant les émissions des rois de France, sans doute afin de faciliter leur circulation dans le royaume par lequel passe encore la majeure partie des flux commerciaux du Nord au Sud de l’Europe. Ainsi, Jean XXII émet des gros d’argent valant 5 baïoques dès 1316 et les premiers florin d’or en 1322. Clément VI introduit aussi la tradition de faire apparaître le pape assis avec au revers les deux clefs en croix et la légende « Sanctus Petrus » vers 1342. Par la suite, la légende « Sanctus Petrus et Paulus » devient la plus courante. Il est cependant contraint, faute de moyens, de réduire la valeur de son florin, ainsi, pour 69 florins dits « papalins », il en émet 100 nouveaux, appelés « florin di camera » qui correspondent à une livre d’or.
En 1367, le pape français Urbain V, tente de réinstaller la cour pontificale à Rome. C’est un échec, il en est chassé au bout d’un an par les ennemis du parti français, mais il parvient tout de même à faire frapper de nouveaux gros papalins portant la mention : « facta in Roma ». C’est seulement son successeur, Grégoire XI, qui rétablit le saint siège à Rome en 1376 mais à sa mort en 1378 éclate le grand schisme d’Occident avec l’élection de deux papes. L’un élu à Rome, Urbain VI, est soutenu par la cours de Naples et la population romaine, tandis que l’autre, élu par la majorité des cardinaux, dont beaucoup de français, est reconnu par les cours de France et d’Espagne et se réinstalle à Avignon. Ce dernier, Clément VII, est aujourd’hui considéré comme un anti-pape.
En 1378, Clément VII est alors le premier à émettre des écus d’or imitant les monnaies des rois de France, tandis que Urbain VI, pape légitime, fait apposer la légende « in roma » sur toutes ses émissions. Pendant le schisme, plusieurs papes se succèdent et font frapper des monnaies aussi bien à Rome qu’à Avignon mais elles sont difficiles à distinguer, chacun continuant à se conformer aussi bien aux références des Etats Italiens qu’aux frappes des souverains de France.
LE TEMPS DU NÉPOTISME
En 1417 Martin V est élu à l’unanimité pour prendre la place des deux antipapes, Benoît XIII et Jean XXII ainsi que du pape romain précédent, Grégoire XII, poussé à la démission pour apaiser les tensions entre les différentes factions et ainsi mettre fin au schisme d’Occident. Vers 1419, les gros papalins émis sous son pontificat, prennent le nom de « carlino », du nom des monnaies émises dans le royaume de Naples sous la dynastie de Charles d’Anjou, montrant ainsi le triomphe de ses partisans napolitains à Rome.
En 1439, le pape Eugène IV ordonne la suppression de toutes les références à l’autorité du Sénat Romain. Désormais, seuls doivent apparaître le blason pontifical surmonté de la tiare avec les deux clefs et les deux têtes de Saint Pierre et de Saint Paul. Les premières références héraldiques étaient apparues sous Clément VII, notamment sur ses écus d’or de 1398, mais cette pratique n’était pas systématique. L’usage ne devient courant puis définitif qu’à partir du pontificat de Eugène IV. Ce dernier, sous l’influence économique de la puissante République de Venise, choisit de rebaptiser ses monnaies d’or et donc, à partir de 1432, les écus sont remplacés par les ducats d’or « papalins ».
Le pontificat de Sixte IV qui démarre en 1471 marque un nouveau tournant dans l’histoire pontificale. Désormais, le népotisme, illustré par l’histoire de la famille Borgia, et les préoccupations temporelles prennent le pas sur les questions religieuses. Les intrigues de cours, la terreur et les guerres fréquentes valent aux papes de nombreuses inimitiés et des clans se reforment s’appuyant tantôt sur les rois de France, d’Espagne, du Saint Empire ou sur les duchés locaux. Les Etats Pontificaux atteignent alors leur dimension maximale et l’argent afflue de toute l’Europe pour payer les énormes travaux entrepris pour embellir la nouvelle basilique Saint Pierre ainsi que les places, les églises et les fontaines de Rome, notamment grâce à la vente des fameuses « indulgences » qui provoque la colère de Luther et donne naissance à la Réforme.
Se comportant en véritable souverain souhaitant faire reconnaître ses armes et son portrait, le pape Sixte IV, qui fait bâtir la fameuse chapelle Sixtine, est le premier à faire figurer un authentique portrait et non plus une représentation symbolique sur toutes ses monnaies même si certains de ses prédécesseurs tels Pie II ou Paul II ont pu le faire sur leurs monnaies d’or quelques années auparavant. Ces monnaies affichant des portraits de meilleure qualité grâce aux progrès de la gravure et de la frappe sont appelées « teston ». Dans les Etats Pontificaux, les testons valent 30 baïoques et sont frappés sous ce nom à partir du pontificat de Jules II entre 1503 et 1513. C’est ce même pape, qui en émettant une très grande quantité de petites pièces d’argent de 10 baïoques donne son nom utilisé le plus couramment jusqu’à nos jours à cette unité de valeur. Dix baïoques sont donc alors appelées « giulii » ou « jules » à partir de 1504.
En 1527, peu après le pillage de Rome par les hommes de Charles Quint, le pape Clément VII, un Médicis de Florence, décide d’introduire des ducats d’argent d’une valeur de 4 testons. Ses monnaies d’argent valant 15 baïoques sont alors appelées « clémenti » et peuvent donc circuler en concurrence avec les ducats d’argent vénitiens. L’influence française reprend bientôt le dessus et les monnaies d’or qu’il fait émettre à partir de 1531 s’appellent désormais écus ou plutôt « scudi » et ce jusqu’à la fin du XIXe. Il est également le premier à émettre des « zecchino », équivalent du « sequin » d’or vénitien en raison de la dévaluation rapide de son scudi. En effet, il faut alors 1 scudi et 9 baïocchi pour faire un ducat d’or et également 1 scudi et 11 baïocchi pour faire un florin.
En 1534, le pape Paul III vient apporter sa petite réforme monétaire pour donner son nom aux monnaies qu’il émet en effaçant tout simplement la tête de Saint Pierre. Ses nouvelles pièces n’affichant donc plus que la tête du Saint homonyme sont donc appelées « paolo » à partir de 1535. Son action la plus importante demeure cependant la convocation du célèbre Concile de Trente en 1545 afin de condamner les idées protestantes et de réformer l’Eglise catholique en profondeur. En 1555, le pape Marcel II, en ne siégeant que 22 jours, nous a offert l’une des monnaies pontificales les plus rares et les plus recherchées, portant d’un côté les armes du pontife Marcellus II et de l’autre la tête de S.Petrus. C’est également à cette époque que se prennent deux habitudes, celle d’indiquer l’année d’émission et celle de préciser la valeur exacte de la pièce en faisant apparaître un chiffre.
Vers 1665, à l’époque de l’édification des plus belles oeuvres baroques de Rome, le pape Alexandre VII fait déplacer l’atelier monétaire pontifical et demande aux architectes et ingénieurs Bernini et Girardini de lui inventer une machine à balancier plus précise et plus rapide. L’atelier de Rome devient alors le plus perfectionné d’Europe et la qualité des pièces est bien supérieure à celles des souverains de l’époque qui attendront bien souvent le début du XVIIIe pour se doter d’un équipement aussi moderne. Avec l’introduction d’un nouveau grosso valant un demi giulio ou 25 baïocchi en 1736, le nombre d’espèces monétaires officiellement frappées et mises en circulation à Rome devient presque incroyable. A cette époque à Rome il existe ainsi des quatrino, des demis 1, 2, 2 et demi et 5 baïoques en cuivre, ces deux derniers appelés respectivement « paludella » et « sampietrino » ; des 1, 4, 8, 12, 25 et 50 baïoques, 1 et 2 carlini en billon ; des 1 grosso, 1 et 2 giulio et paulo, 1 testone, 1 écu d’argent en enfin des demis et 1 zecchino et des 1 et 2 doppia ou dobla valant 2 anciens scudi ou 3,3 scudi d’or de l’époque !!!
Un « quadrupla » d’or valant 2 doppia ou 6 scudi fait même son apparition en 1777. Cette large pièce pesant près de 10,9 g a peu circulé et a surtout servi à simplifier le stockage et les transactions de fortes sommes entre grandes autorités. En effet, à cette époque, si le clergé romain vit dans une relative aisance malgré des dettes importantes, le reste des Etats Pontificaux est laissé à l’abandon. Les villes sont ruinées, les campagnes sont négligées et la population est écrasée par les impôts.
LA FIN DES ETATS PONTIFICAUX
A la fin du XVIIIe siècle, le pape Pie VI est considéré comme le premier pape moderne. En siégeant presque 25 ans de 1775 à 1799, il affronte tous les bouleversements de la Révolution Française et pourtant il n’hésite pas à légiférer à plusieurs reprises pour améliorer lui aussi l’économie et les finances de ses Etats Pontificaux. Ainsi, en 1786, il fait retirer de la circulation toutes les pièces d’or émises avant 1757 afin de leur substituer de nouvelles pièces légèrement dévaluées. En 1795, devant l’amas de richesse accumulé dans les Mont de Piété, il ordonne aux administrateurs de faire fondre tout l’argent afin qu’il soit frappé en monnaies. Il propose également que des reconnaissances en papier servent de monnaies gagées sur la valeur des biens restants comme les assignats français. On peut alors les considérer comme les premiers billets issus par les autorités pontificales avec des valeurs de 3 à 3 000 écus. Enfin, pour faire face à la Constitution Civile du Clergé qui lui fait perdre une grosse partie de ses revenus en 1791 et pour payer les indemnités réclamées par les armées françaises présentes en Italie à partir de 1798, il fait fondre les canons des forteresses pour faire frapper une grande quantité de monnaies de bronze et de fer.
Durant l’occupation française, le pape émet principalement des baïoccho et des scudo mais le Franc entre officiellement en circulation dans la nouvelle « république romaine » entre 1808 et 1814. Avec la chute de Napoléon en 1815, les scudi retrouvent leur place centrale dans le monnayage pontifical de Pie VII. Malheureusement, les Etats Pontificaux vont mal, les campagnes sont ruinées et l’administration ne dispose plus de revenus suffisants pour compenser les dettes.
Sous Pie VIII, vers 1829, les conspirations républicaines ou libérales deviennent menaçantes et quelques révolutions éclatent à Bologne, dans les Romagnes et en Ombrie. Grégoire XVI, pape de 1831 à 1846, écrase les différentes insurrections, rétablit l’absolutisme et réforme le système monétaire pontifical en 1835 en adoptant le système décimal français. Il fait ainsi frapper des pièces d’or de dix écus, baptisées « grégorino » et valant 1000 baïocchi. Un scudo romain vaut alors 100 baïoques. Une grande partie des autres dénominations sont abandonnées à la frappe mais restent tolérées à la circulation. Les autorités souhaitent en effet ne conserver que la frappe des quatrino, des baïoques et des écus avec des émissions de 5, 10, 20, 30 et 50 baïoques ainsi que de 1, 2, 5 et 10 écus.
Les autres pièces d’origine ancienne sont cependant conservées avec des valeurs intermédiaires comme le quatrino qui vaut 1/5 de baïoques, le grosso qui en vaut 5, le giulio et le paoli qui en valent 10 et enfin le testone qui en vaut 30. Son successeur, Pie IX, se place sous la protection de Napoléon III à partir de 1848 pour retrouver son siège après avoir été chassé par les mouvements insurrectionnels qui touchent toutes les grandes villes italiennes et européennes, mais par la suite il ne peut pas échapper au mouvement de réunification de l’Italie engagé par Cavour, chef du gouvernement du royaume de Piémont Sardaigne à partir de 1852. Le 17 mars 1861, Victor Emmanuel de Piémont Sardaigne est proclamé roi de la nouvelle Italie unie. Seule Rome est provisoirement préservée grâce à la présence des troupes françaises de Napoléon III.
La défaite française face à la Prusse et l’abdication de Napoléon III en 1870 permettent aux autorités Italiennes d’annexer Rome dans le royaume. Déjà en 1866, les autorités papales avaient dû accepter de se conformer à l’usage monétaire commun à toute l’Italie en adoptant la Lire et en participant à l’Union Monétaire Latine. Désormais, il n’y a plus vraiment de monnayage pontifical mais simplement, un monnayage conforme à celui du reste de la nation italienne avec simplement quelques marques d’originalité tolérées sur les pièces. Toutes les autres monnaies jusque là frappées par les ateliers dépendants du Vatican sont retirées de la circulation. En septembre 1870, l’atelier monétaire romain, déjà considéré comme l’un des plus perfectionné d’Europe, est tout simplement confisqué par l’Etat Italien qui doit répondre à ses besoins monétaires.