En mars 2007, un jeune maçon portugais, employé à creuser une tranchée dans une vieille maison de Montrichard (Loir-et-Cher), vint à découvrir un pot en grès contenant presque 600 pièces d’or et d’argent. Une découverte exceptionnelle qui fit grand bruit dans la presse locale et nationale.
Sa découverte
À Montrichard, la rumeur courait qu’un trésor avait été enfoui il y a fort longtemps dans l’une des plus vieilles maisons de la commune.
Nichée au pied de l’église Sainte-Croix, rue Nationale, en plein centre de la cité médiévale, cette maison à colombages du XVe siècle, classée monument historique, aurait même accueilli la Reine Anne de Bretagne en mai 1506. L’une des anciennes propriétaires de cette demeure aurait même tenté de dénicher le magot avec quelques appareils sophistiqués, et prohibés, mais en vain.
Car c’est à l’occasion de travaux de restauration en mars 2007 que les coups de pioche d’un jeune maçon portugais vinrent à mettre au jour le trésor… Le jeune homme devait réaliser une tranchée pour monter un mur ; la lecture inversée du plan élaboré par l’architecte lui a fait creuser cette tranchée à une trentaine de centimètres de l’endroit où celle-ci était prévue. Sans cette erreur, le trésor serait probablement resté enfoui à jamais…
Le dépôt monétaire était là, au rez-de-chaussée de la maison, dans le sol, sous le pavage, tout près de la cheminée. Il était contenu dans un simple pot en grès glaçuré. La poterie a malheureusement été brisée durant les travaux, mais quelques fragments purent être récupérés. Le pot ne comportait pas de couvercle. Une simple plaque d’ardoise posée dessus devait cependant en faire office.
Comme la loi l’exige, le trésor fut immédiatement déclaré aux autorités : la mairie de Montrichard, la Direction régionale des affaires culturelles, le Service régional de l’archéologie puis il fut remis à la gendarmerie.
Un premier décompte rapide permit de recenser 208 monnaies en or et 365 en argent des XVIe et XVIIe siècles, soit 573 pièces au total, qui furent confiées au Département des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France, à Paris, pour inventaire et étude scientifique.
Les pièces étaient globalement dans un excellent état de conservation. Cependant, certaines, parmi celles en argent, présentaient des traces d’oxydation nécessitant un nettoyage minutieux.
Son contenu
540 pièces sont issues du Royaume de France, soit 94,24 %. Elles étaient toutes royales, à l’exception d’un écu d’argent féodal émis par Gaston d’Orléans (1628-1657), Prince des Dombes. Cet écu a été frappé à Trévoux en 1652 aux mêmes conditions que ceux du Roi. On dénombre également 29 monnaies d’or espagnoles – précisément 1 escudo, 26 doubles escudos et 2 quadruples escudos (elles étaient les seules monnaies étrangères alors officiellement autorisées à circuler en France jusqu’à l’ordonnance royale de 1679 mettant un terme définitif à leur présence dans le royaume). Il faut aussi relever que 3 fausses monnaies ont échappé à la vigilance du thésauriseur : un faux écu d’or au nom de Louis XIII, un faux écu d’argent à celui de Louis XIV et un faux quadruple escudos espagnol. C’est leur remarquable qualité d’exécution qui a permis à ces fausses pièces de duper le thésauriseur. En effet, elles ont été faites, pour les françaises, à l’aide de coins réalisés par des faussaires experts en gravure et frappées en métaux nobles. La pièce espagnole quant à elle a été faite, comme souvent, à partir d’un surmoulage. La supercherie était donc difficile à identifier.
Hormis deux écus d’or, l’un frappé vers 1520 sous François Ier (1515-1547) et l’autre en 1587 sous Henri III (1574-1589), les 538 autres monnaies royales françaises ont été émises sous Louis XIII (1610-1643) et Louis XIV (1643-1715), soit 96,65 %. On retrouve à nouveau des écus d’or de Louis XIII (86 exemplaires), mais toutes les autres sont postérieures à la réforme de 1640. Aussi, le trésor comprenait-il essentiellement pour l’or des doubles louis, des louis, des demi-louis et pour l’argent des écus blancs. La monnaie la plus récente du trésor est un louis d’or de 1661 frappé à Paris, ayant visiblement peu circulé, ce qui permet de dater l’enfouissement du dépôt vers 1661-1662.
L’état de conservation globalement excellent, et les poids lourds généralement constaté, prouvent que celui qui a constitué patiemment ce pécule a sélectionné les pièces qu’il mettait de côté en les triant et en les pesant. Les espèces d’argent ont elles aussi fait l’objet d’une sélection particulière puisqu’on ne compte aucune divisionnaire de l’écu.
Malgré la sélection opérée par le thésauriseur, le trésor de Montrichard présente une physionomie tout à fait attendue pour cette époque. D’ailleurs, on ne constate pas d’anomalie dans la répartition des ateliers représentés dans ce dépôt monétaire :
– Tours, Angers et Poitiers, ateliers les plus proches du lieu d’enfouissement, sont peu représentés parce que leurs productions étaient assez faibles ;
– a contrario, les ateliers les plus productifs, comme Paris et Lyon pour l’or notamment, ou du Grand Ouest (Rouen, Rennes, Bordeaux, Bayonne…) pour l’argent, sont davantage représentés ;
– Paris se place logiquement au premier rang avec 250 pièces, soit 48 % de l’ensemble. Rouen et Bordeaux, dont les frappes étaient largement alimentées par l’afflux des réaux d’argent espagnols arrivent ensuite, mais déjà bien loin derrière.
Sur le plan numismatique, ce dépôt monétaire est particulièrement intéressant car il contient des exemplaires en parfait état permettant de lire facilement les marques des maîtres et graveurs des différents ateliers émetteurs. Il contient plusieurs pièces rares, connues jusqu’alors par quelques exemplaires seulement. En outre, il a livré quatre monnaies inédites dont, pour trois d’entre elles, la frappe était attestée par les archives : un écu d’or au soleil de Louis XIV frappé en 1650 à Paris à 5 413 exemplaires, un louis d’or à la mèche longue de Louis XIV frappé en 1657 à Bordeaux à 2 000 exemplaires environ, un demi-louis d’or à la mèche longue frappé en 1648 à Angers à environ 1 160 exemplaires et enfin un double escudo d’or de Philippe III d’Espagne frappé à Séville en 1599.
Ce dépôt présente en outre une caractéristique intéressante : l’essentiel de sa valeur est d’abord constitué d’or (65,84 %). Cela est typique des trésors de « thésaurisation » de l’Ancien Régime, c’est-à-dire d’une accumulation de fortune en numéraire sur le long terme, où l’on préférait retirer de la circulation des espèces d’or. Le tri opéré pour sélectionner les meilleures monnaies, de poids lourd, confirme cette orientation.
Lorsqu’il fut abandonné, ce magot valait une véritable fortune : 3 206 livres et 4 sols !
Il est illusoire de vouloir transposer cette valeur en monnaie d’aujourd’hui, car les références ont beaucoup trop changé, mais il est possible d’établir un ordre grandeur. Avec toutes ses pièces, le propriétaire du trésor de Montrichard pouvait s’offrir sur le marché d’Orléans : 75 vaches, ou 16 chevaux, ou bien 39 mulets, ou encore 179 porcs ! Il aurait tout aussi bien pu agrandir son domaine en achetant 165 hectares de terre. Le propriétaire du trésor de Montrichard avait accumulé une fortune tout à fait considérable.
Celui-ci était assurément d’un statut social élevé. Mais, s’agissait-il d’un officier royal ? D’un riche négociant ? D’un marchand-banquier ? Voire, d’un changeur ? Pourquoi pas, car il était sans conteste habitué à manipuler les monnaies, à en contrôler le poids avec son trébuchet.
Aucun événement historique ou particulier ne semble pouvoir justifier l’enfouissement de ce dépôt, d’autant que les preuves d’une lente accumulation sont nombreuses. S’agit-il d’une perte ou d’un abandon ? C’est assez difficile d’y croire. Il est vraisemblable en revanche qu’une mort rapide empêcha le propriétaire de confier le secret de sa cachette. À cette période le Val de Loire fut touché par la « Crise de l’avènement », marquée par plusieurs épidémies meurtrières et une cherté en 1661, on mourut littéralement de faim dans cette partie du royaume dès le printemps 1662. La richesse du trésor de Montrichard préservait son propriétaire de la famine, mais pas de la maladie…
Sa dispersion
Après l’achèvement de la restauration et de l’inventaire, le trésor a été remis dans son intégralité à ses propriétaires, c’est-à-dire qu’il fut partagé à parts égales entre l’ouvrier inventeur et le propriétaire de la maison. La première part a été cédée dans sa totalité lors d’une vente aux enchères tenue à Cheverny en juin 2008 et une partie de la seconde à Paris en octobre 2008.
Placée sous le marteau de Philippe Rouillac, la première vente fit grand bruit ! La presse écrite, la radio, mais aussi les caméras de la télévision française et portugaise couvrirent l’événement qui se déroula au château de Cheverny. Peu avant la vente, le trésor fut exposé à Montrichard même pour un ultime retour aux sources. Les habitants de Montrichard vinrent en nombre découvrir le trésor. La vaste salle de l’Hôtel de Ville mise à disposition par le maire fut trop petite pour accueillir tout le monde. Les témoins soulignent tous l’émotion des habitants, les nombreuses prises de paroles, les hypothèses d’explications sur la ou les raisons d’un tel trésor dans leur commune.
Les 285 pièces de cette première vacation furent décrites et photographiées une à une dans un catalogue rédigé sous l’expertise de Françoise Berthelot-Vinchon. Quoique tiré à 2 500 exemplaires, le catalogue fut vite épuisé. Le commissaire-priseur offrit le produit de la vente du catalogue au profit de l’association des « Amis du Vieux Montrichard » pour lui permettre d’acheter quelques pièces. Ce qu’elle ne manqua pas de faire…
Devant la presse et un public venu nombreux de toute la France, le jeune maçon troqua sa pioche pour le marteau du commissaire-priseur le temps d’adjuger la première monnaie, l’écu d’or de François Ier. Le total des enchères s’éleva à 300 000€ !
Pour en savoir plus
Le trésor de Montrichard (Loir-et-Cher), vers 1661-1662
– Arnaud Clairand,Jérôme Jambu, Jean-Yves Kind
Revue Numismatique Année 2015 172 pp. 9-38
Cahier thématique Louis XIV
< La revue numismatique >
– L’ensemble des 285 pièces dispersées au Château de Cheverny : https://www.auction.fr/_fr/vente/tresor-de-montrichard-12026
Ville jumelée avec Saint Gilles Croix de Vie en Vendée.