C’était en janvier 1800, il y a 215 ans… Les guichets de la Banque de France ouvraient alors au public. Nous sommes au tout début du XIXe siècle. La Révolution s’achève. En ce domaine, la France est un peu en retard par rapport à d’autres pays comme l’Angleterre, les Pays-Bas ou la Suède qui se sont déjà dotés depuis longtemps d’une banque centrale.

Néanmoins, en France, des banquiers privés avaient fondé en 1796 une Caisse des comptes courants qui pouvait préfigurer la future organisation. Elle est installée dans l’hôtel Massiac, près de la place des Victoires à Paris (aujourd’hui 2 rue d’Aboukir). En 1797, une Caisse d’escompte du commerce se lance à son tour dans l’escompte des effets et dans l’émission de billets. Et à Rouen, en avril 1797, est créée la Société générale du commerce. Ces banques sont totalement privées et leurs billets peuvent donc être librement acceptés ou refusés tant par le commerce que par les caisses de l’Etat. Il faut avouer que notre pays a connu plusieurs expériences successives de papier-monnaie garanti par l’Etat, toutes plus malheureuses les unes que les autres. « Billets de monnaie » de Louis XIV, actions de John Law ou assignats de la Révolution, tous ont fait de ce papier-monnaie un objet de répulsion. De son côté, le Premier Consul est partagé entre le désir de posséder sa propre banque, auxiliaire docile de sa politique, et la nécessité de tenir compte de l’opinion du public, échaudée par les tentatives antérieures de l’Etat en ce domaine.

UNE CRÉATION DE NAPOLÉON BONAPARTE
Dès le lendemain du 18 brumaire, Bonaparte a créé la Caisse d’amortissement pour soutenir le cours de la rente, diminuer la dette publique et affermir la confiance dans le nouveau système politique. Mais il avait conscience que la France manquait d’un organisme financier solide, capable d’assurer à la fois la stabilité de la monnaie et de dynamiser l’économie : « la France manque d’hommes qui sachent ce que c’est qu’une banque, disait-il. C’est une race d’hommes à créer ». Il incite donc un groupe de six négociants et banquiers, qui ont déjà fait leurs preuves à la Caisse d’escompte à rédiger les statuts d’une banque privée, selon les directives du Premier Consul, qui portera le nom de Banque de France. Le 6 janvier 1800 (16 nivose an VIII), ceux-ci informent le Ministre des Finances que leur projet est prêt. Ils sont alors autorisés, à leur demande, à installer cet établissement « à la ci devant église de l’Oratoire, rue Honoré » à Paris. Nous sommes le 18 janvier 1800. Le 20 février 1800, elle ouvre ses guichets au public. Un mois plus tard, la Caisse des comptes courants fusionne avec la Banque de France qui vient alors récupérer ses locaux, près de la place des Victoires, locaux qu’elle occupe encore aujourd’hui.
Cette nouvelle banque est créée sous la forme d’une société par actions, de caractère privé, au capital de 30 millions, divisé en trente mille actions nominatives de 1000 francs. Cinq mille actions ont été souscrites par le Trésor. Pour montrer l’exemple, le Premier consul s’inscrit en tête des souscripteurs pour 30 actions. Il en fait souscrire aussi à Hortense (10), à Duroc (5), à Murat (2), à Joseph et Jérôme, à ses généraux et à ses ministres. Une assemblée générale des 200 plus gros actionnaires désigne un Conseil général de quinze régents, qui élisent à leur tour un Comité central de trois membres. Le premier Président du Comité, qui préside donc le Conseil de régence et dirige l’assemblée des actionnaires, est le banquier protestant Jean Frédéric, comte de Perrégaux, qui a, sans doute, financé en sous main le coup d’Etat du 18 brumaire, et dont la fille est l’épouse de l’aide de camp de Bonaparte. Celui-ci déclare « la Banque est libre par sa création, qui n’appartient qu’à des individus, indépendante par ses statuts. Elle existe sous la protection des lois générales et par la seule volonté collective de ses actionnaires ».
UNE IMPORTANCE CROISSANTE DANS L’ORGANISATION DE L’ETAT
Les liens entre la Banque et l’Etat, s’ils ne sont pas institutionnels, sont néanmoins très réels. Elle contribue très efficacement au service de la Loterie (6 avril 1800), assure le paiement des rentes et pensions (11 août 1800), et fait même des avances de trésorerie. De son côté, l’Etat contribue à établir la confiance dans ce nouvel établissement en acceptant ses billets en paiement dans ses caisses. Ceci est important car, si les billets peuvent circuler comme monnaie, ils n’ont ni cours légal, ni cours forcé. L’article 5 des statuts prévoit que les billets doivent être émis « dans des proportions telles qu’au moyen du numéraire réservé dans les caisses de la Banque et des échéances de son portefeuille, elle ne puisse dans aucun temps être exposée à différer le paiement de ses engagements ». Et en la matière, la Banque s’avère prudente. Elle n’émet que de grosses coupures de 500 et 1 000 francs qui ne circulent qu’à Paris. Inutile de vous dire que, compte tenu de leurs valeurs faciales, elles sont totalement ignorées du grand public.
Ainsi, au printemps 1802, une grande diversité règne, conforme à l’esprit de liberté exigé du public. Six établissements parisiens sont autorisés à émettre et escompter : la Banque de France, la Caisse d’escompte du commerce, le Comptoir commercial, la Banque territoriale, la Factorerie du commerce et la Caisse d’échange des monnaies. Le volume global d’émission des billets n’atteint pas les 70 millions, dont 45 néanmoins pour la seule Banque de France. Mais un scandale financier, dû à un directeur indélicat, secoue la Caisse d’escompte du commerce, qui décide alors Bonaparte à mettre en oeuvre la concentration à laquelle il aspirait, en fait, depuis le début. Le 4 avril 1803, un projet de loi est présenté au Corps législatif : « convaincu de la nécessité de restreindre à une seule banque la faculté d’émettre à Paris et de constituer ainsi un privilège, le gouvernement a dû choisir entre les banques existantes. La Banque de France a paru mériter la préférence ». Ce texte, qui autorise également une augmentation du capital de 30 à 45 millions de francs, est adopté le 14 avril 1803 (24 germinal an XI). Les billets des autres banques doivent être retirés de la circulation au profit exclusif de ceux de la Banque de France qui reçoit donc le privilège exclusif d’émission, mais seulement à Paris. De plus, bien qu’institut à statut privé, les fabricants de faux billets sont, dès le départ, assimilés à des faux monnayeurs, et donc susceptibles d’être condamnés de la peine de mort.

LA REPRISE EN MAIN
En 1806, Napoléon remplaça le Comité central par un gouverneur, entouré de deux sous-gouverneurs qui seront tous deux nommés par décret. Le premier gouverneur fut Emmanuel Crétet, comte de Champmol. Cette institution a donc pour caractéristique d’être détenue par des capitaux privés mais dirigée par des agents nommés par l’Etat. L’Empereur l’engage, de plus, à créer des comptoirs dans les départements. Elle devient donc peu à peu la Banque de la France. Et Napoléon de déclarer : « On doit se persuader que le gouvernement favorisera de tout son pouvoir la Banque de France, non pour faire un usage particulier du crédit qu’il pourrait obtenir, mais pour atteindre de grands résultats d’utilité générale dans la circulation et l’intérêt de l’argent ». Des comptoirs ouvrent à Lyon et Rouen le 24 juin 1808, et à Lille le 29 mai 1810. Ce sera tout, sous l’Empire.
En 1806, le montant des billets en circulation atteint les 90 millions. Pour l’anecdote, Napoléon, qui engageait le public à faire confiance aux billets, ajoutait tout de même, en privé « pour ma part, je ne veux pas de papier-monnaie ». Ce qu’il confirme dans le « Mémorial de Sainte Hélène » en indiquant « avoir eu dans ses caves, aux Tuileries, jusqu’à 400 millions en or qui étaient tellement à lui qu’il n’en existait d’autres traces qu’un petit livret dans les mains de son trésorier particulier ». Faites ce que je dis… Ce n’est qu’en 1848 que la Banque de France voit son privilège d’émission étendu à l’ensemble du territoire métropolitain. Parallèlement, elle développa un réseau de comptoirs provinciaux. Elle survivra à tous les régimes, à toutes les révolutions (même à la Commune de Paris) et ses statuts ne seront modifiés qu’en 1936, par le Front populaire. Elle devient propriété de l’Etat en 1945.