Par Eduardo Gurgel
KIM JONG UN, le jeune fils et petit-fils prodige nord-coréen est devenu le leader le plus répressif et le plus agressif que le pays ait connu. Succédant à un père probablement détesté par la population, à laquelle il ne s’était jamais adressé en 17 ans d’un règne économiquement catastrophique, il hérite d’un pays exsangue mais cultive la ressemblance avec son grand-père, qui a connu les heures de gloire de la Corée du Nord, pour redorer l’image du « chef suprême » !
Elevé dans la culture occidentale, il a promis, dès son avènement, un « virage radical permettant l’émergence d’un géant économique ». En réalité, le pays continue de s’enfoncer dans l’isolement sur le plan international et même la Chine, craignant la réaction américaine aux provocations du jeune dictateur, commence à se désolidariser de son allié historique. Sur le plan économique, malgré quelques modernisations qui ont sorti le pays de la famine, seuls les trafics en tout genre permettent l’entrée des devises indispensables dans le pays.
Une enfance dorée
Le petit Kim Jong Un est né en 1983 ou 1984 mais la propagande officielle nord-coréenne valide l’année 1982 pour créer un lien historique avec les dates de naissance de son père, en 1942, et de son grand-père, en 1912. Il est le dernier fils du dictateur Kim Jong Il et de l’une de ses épouses ou maîtresses, une danseuse coréenne rapatriée du Japon en 1961, Ko Young Hee. A l’époque, son grand-père, Kim Il Sung, est toujours le maître du pays depuis 1948 et cumule les titres honorifiques les plus extravagants comme « Génie de la création », « Grand soleil de la Nation » ou « Etoile polaire de l’humanité ». Son père, plus taciturne et inquiétant, est surnommé « cher dirigeant » ou « génie créateur qui tient le gouvernail du monde entier » par la propagande un brin excessive à partir de 1994. Sa mère, qui l’adore, préfère le considérer comme le « roi de l’étoile du matin » ! Il passe toute son enfance dans une demeure luxueuse du centre de Pyongyang entouré de servantes, de gardes et surtout de jouets.
Il raffole des dessins animés de Walt Disney et se rend à plusieurs reprises dans des parcs d’attraction Disneyland en utilisant une fausse identité brésilienne. En 1996, il est envoyé étudier dans une prestigieuse et coûteuse école internationale Suisse, l’International School of Berne, sous le faux nom de Pak Un. De 1998 à 2000, il est un élève moyen, passionné par le basket et l’informatique et il quitte la Suisse sans obtenir aucun diplôme. Rentré en Corée du Nord, il continue d’admirer ses idoles de la NBA et d’acheter des paires de basket d’une valeur équivalente à plusieurs mois de salaire d’un fonctionnaire. Son éducation civique est parachevée par le directeur de l’Institut d’Histoire du Parti du Travail de Corée avant qu’il n’intègre l’académie militaire d’infanterie et d’artillerie. Parallèlement, il fait venir des professeurs particuliers pour se perfectionner en informatique. La presse officielle du régime fait de lui un surdoué qui apprend à conduire à 3 ans et rédige sa première thèse de stratégie militaire à 16 ans !
Jusqu’en 2004, il se soucie peu du pouvoir et fréquente des jeunes filles aussi belles que célèbres comme Hyon Song Wol, la chanteuse de pop nord-coréenne. Il en est séparé de force par son père quand ce dernier, après la mort de son épouse préférée, décide de l’associer au pouvoir pour préparer sa succession à partir de 2004. Ainsi, après avoir perdu sa mère, décédée à Paris d’un cancer et séparé de sa petite amie, Kim Jong Un commence à se préparer au pouvoir. Il inspecte régulièrement les troupes au côté de son père pour se faire reconnaître de l’armée. Puis il intègre l’Assemblée Populaire Suprême en mars 2009 avant de prendre la tête du département de la Sécurité de l’Etat. En 2010, il est promu au grade de Général quatre étoiles et devient membre du Comité Central du Parti du Travail de Corée.
La presse officielle le présente déjà comme le digne « successeur de la cause révolutionnaire ». Dans le même temps, il doit affirmer son autorité et se débarrasser d’éventuels rivaux. On le soupçonne alors d’avoir personnellement commandité la tentative d’empoisonnement de son frère en juin 2009, puis l’attaque d’un navire de guerre sud-coréen le 7 juillet 2009 et enfin d’avoir supervisé l’exécution de plusieurs membres éminents du département de la Sécurité d’Etat en janvier 2011. Quand Kim Jong Il meurt le 16 décembre 2011, sa succession est déjà assurée et aussi bien les ambassadeurs que les militaires sont aux ordres du jeune Kim Jong Un qui apparaît ostensiblement aux funérailles grandioses qu’il organise pour son père dans le mausolée de Kumsusan entre le 20 et le 28 décembre 2011.
Il est aussitôt nommé « Chef du Comité Central » et « commandant suprême de l’Armée populaire ». L’exécution des derniers proches de son père, comme son oncle, le tout puissant Jang Song Taek en décembre 2013 ou de son demi-frère Kim Jong Nam en février 2017 parachèvent la transition politique et le début de son règne de terreur. Pour conforter sa succession, Kim Jong Un souhaite continuer le développement économique en partenariat avec la Chine, asseoir sa popularité en apparaissant très régulièrement auprès de la population à la manière de son grand-père et surtout montrer qu’il est un chef de guerre capable de mettre à terre les ennemis les plus puissants notamment les Etats-Unis. En multipliant les provocations par des tirs de missiles balistiques et des essais nucléaires retransmis à la télévision, en différé en cas d’échec, il apparaît dans sa position favorite : à la tête de ses troupes comme dans le documentaire télévisé de janvier 2012 où il semblait commander en première ligne aussi bien les troupes de la marine, de l’air, l’artillerie ou l’infanterie en véritable génie militaire qu’il est censé être pour diriger le dernier bastion du communisme créé par son grand-père.
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Le dernier bastion du communisme
La défaite japonaise en 1945 avait mis fin à sa domination sur la Corée mais l’opposition naissante entre l’URSS et les USA avait provoqué la scission du pays libéré. La Corée fut alors divisée en deux zones suivant la ligne du 38e parallèle, le Nord administré par l’URSS et le Sud par les Etats-Unis. Un nationaliste prit le pouvoir au Sud tandis que Staline imposa Kim Il Sung au poste de Premier Ministre de la République Populaire Démocratique de Corée en 1948. Dès l’année suivante, le dirigeant nord-coréen, confiant en ses forces militaires, proposait un plan d’invasion rapide de la Corée du Sud pour chasser les Américains du continent alors que Mao prenait le pouvoir et imposait le communisme dans la Chine voisine. Staline a d’abord freiné ses ardeurs, mais en juin 1951, voyant les Américains trop occupés à protéger Taïwan, il l’a laissé lancer son attaque surprise pour envahir la Corée du Sud jusqu’à la dernière poche de résistance autour de Pusan. Les Nations Unies condamnant cette agression, ont voté une résolution permettant une intervention américaine en septembre.
Le Général Mac Arthur a donc débarqué à Inchon pour prendre les Nord-Coréens à revers. Les troupes américaines ont repoussé les troupes de Kim Il Sung jusqu’à la frontière chinoise en octobre. C’est alors que des centaines de milliers de « volontaires » chinois, protégés par l’aviation russe, sont intervenus pour reprendre la Corée du Nord. Le front s’est à nouveau stabilisé sur le 38e parallèle et un accord de cessez-le-feu a été signé le 27 juillet 1953.
En revanche, aucun accord de paix véritable n’a depuis été trouvé et les deux Corée demeurent définitivement séparées ! Kim Il Sung instaure alors une dictature sévère s’appuyant sur la répression politique, une bureaucratie pléthorique et docile et surtout une force armée portée à 1 million de soldats endoctrinés. La terreur, la propagande et l’endoctrinement officiel de la jeunesse permettent de modeler la population à l’image de l’idéal voulu par Kim Il Sung. Le développement économique du pays, adossé à l’aide soviétique, est plus rapide qu’en Corée du Sud et le pays devient la quatrième puissance industrielle d’Asie
en 1970. La monnaie nationale historique, le won, réintroduit en 1947 après deux années de transition où le yen coréen avait continué à circuler provisoirement, a été officiellement réévalué par le régime communiste en 1959 avec un nouveau won équivalent à 100 anciens. La Corée du Nord est alors la seule partie de la Corée qui continue à utiliser les petites monnaies subdivisionnaires, les jeons ou chons, alors qu’ils ont disparu en Corée du Sud. Le pays peut alors pratiquement vivre en autarcie et le leader charismatique gagne une aura mondiale auprès des étudiants et des intellectuels communistes du monde entier. Une monnaie spéciale est d’ailleurs créée en 1983 et destinée à l’usage exclusif des visiteurs. La Banque Centrale nord-coréenne émet ainsi des coupures spécifiques dont le timbre, puis la couleur à partir de 1988, déterminent l’utilisateur. Les camarades nord-coréens sont contraints d’utiliser les wons traditionnels quand les « amis communistes » se voient attribuer des wons de couleur rouge ou rose.
Les visiteurs capitalistes ont droit à des wons de couleur bleue ou verte permettant d’effectuer des achats qui restent cependant très limités. Les pièces se distinguent également par l’ajout d’une étoile, pour les communistes, ou de deux étoiles pour les capitalistes. Les réussites agricoles, industrielles et énergétiques de la Corée du Nord sont à l’honneur sur les billets. Le portrait officiel du dirigeant visionnaire n’est apparu qu’avec la nouvelle série de billets de 1979. A cette époque, personne ne songe à remettre en cause sa réussite et c’est donc de cette période faste que le jeune Kim Jong Un veut se revendiquer l’héritier. Il cherche à tout prix à ressembler à son grand-père, quitte à imiter sa démarche, ses postures, sa voix et même son physique en ayant recours à quelques
retouches esthétiques et en reprenant sa coupe de cheveux typique. A l’inverse, il ne tient pas à ressembler à son père dont le visage poupin et le corps de petite taille hissé sur des talonnettes était de loin plus inquiétant et plus secret, même son sourire pouvait susciter l’angoisse de ceux qui le rencontraient !
Ce dernier n’a pas bénéficié du même climat porteur lorsqu’il hérite du poste de chef suprême à la mort de son père en 1994. Les années 90 ont été catastrophiques pour le pays, avec la chute de l’URSS, les inondations, l’alternance des épisodes de sécheresse et de froid et surtout l’isolation de plus en plus marquée sur le plan international. Kim Il Sung n’avait pas rencontré de journalistes occidentaux depuis 1972, Kim Jong Il ne prendra jamais la parole en 17 ans de règne ! La situation est tellement grave au milieu des années 90 que la Corée du Nord est contrainte d’accepter l’aide alimentaire du PAM tandis que la propagande officielle incite la population à ne prendre qu’un repas par jour pour participer à l’effort national. Effort qu’il ne partage pas puisque lui-même vit dans le luxe et fait venir de grands cuisiniers étrangers pour déguster les mets les plus raffinés du monde entier. Pour relancer l’économie, il a cependant concédé un début d’ouverture à l’économie de marché au début des années 2000 en accueillant des investisseurs chinois et sud-coréens attirés par une main d’oeuvre docile et bon marché. A cette occasion, il a aussi accepté en 2001, d’abandonner le taux de change officiel du won, fixé de manière autoritaire à 2.16 pour 1 dollar pour commémorer son propre anniversaire le 16 février et maintenu artificiellement par la suite pour préserver l’illusion de la réussite économique du pays. L’année suivante, il met fin au système des billets de couleurs différentes destinés à l’usage des visiteurs car ils sont devenus obsolètes. En décembre 2009, il procède à une réévaluation soudaine de sa monnaie, en multipliant par 100 la valeur du won, tout en ne laissant que quelques jours à la population pour changer ses anciens billets, avec un seuil maximal fixé à 150 000 wons. Cette thérapie de choc vise à lutter contre l’inflation, le trafic de devises sur le marché noir et à neutraliser les personnes qui profitaient d’un capitalisme naissant. Mais cette politique a échoué, ce qui a conduit à l’exécution en 2010 de Pak Nam-ki (ou Nam Gi), chef du département des finances et responsable de la mise en oeuvre de la réforme monétaire. Les coupures de 100, 1000 et 5000 won de cette série de 2009 mettent encore davantage en valeur le portrait du leader fondateur du pays, Kim Il Sung ! Ce dernier demeure donc la référence populaire à revendiquer mais c’est tout de même cette politique d’ouverture de son père que Kim Jong Un veut développer tout en conservant une rhétorique militaire agressive à l’égard des Etats-Unis et de la Corée du Sud dans son premier discours télévisé du 1er janvier 2013.
Indispensables devises !
Aujourd’hui encore le won nord-coréen n’est pas convertible sur le marché international et le régime continue de déployer toutes sortes de stratégies pour se procurer les devises indispensables à l’achat de produits étrangers. La production de contrefaçons, qui alimentent ensuite le marché chinois, est l’une de ses spécialités avec des productions de cigarettes, de timbres, d’alcool ou même de viagra. Les productions de drogues de synthèse sont une autre spécialité qui intéresse les partenaires aussi douteux que les yakusas japonais, les triades chinoises ou la mafia russe. Cette fabrication est probablement assurée dans le plus grand secret par les 180 000 prisonniers condamnés aux travaux forcés. La contrebande d’ivoire, d’or ou d’animaux exotiques de toute sorte est également alimentée par les quelques ambassades présentes dans plusieurs pays tolérants dans le monde afin de procurer devises et produits occidentaux au leader et à sa nouvelle nomenklatura. Depuis 2012, il favorise une nouvelle génération de trentenaires qui doit détrôner celle de son père. S’ils parviennent à prouver leur attachement au régime et leur fidélité au leader, ils obtiennent des privilèges exorbitants dans un pays communiste réputé fermé au monde et où les salaires ne dépassent pas 80 cents ! Ainsi, des immeubles ultra-sécurisés, dotés de bunkers, de salles de sport, de centres commerciaux privés remplis de produits occidentaux et de restaurants offrant des menus raffinés à 50 dollars leur sont réservés. D’ailleurs, depuis avril 2013, plusieurs commerces nord-coréens acceptent les dollars, les yuans et même les euros, preuve que ces monnaies étrangères circulent assez aisément dans le pays. Récemment, la star du basket Dennis Rodman, invité en Corée du Nord par son jeune admirateur de toujours, a déclaré que les réceptions de Kim Jong Un étaient dignes de fêtes « 7 étoiles où le cognac et le champagne coulent à flots ».
La femme du leader suprême, Ri Sol Ju, épousée en 2010 mais officialisée en 2012, ne craint pas d’apparaître avec des tenues ou des accessoires de marques estampillés Louis Vuitton ou Christian Dior. Les sanctions internationales, renforcées par une nouvelle résolution de l’ONU adoptée en novembre 2016, ont donc bien du mal à être appliquées et encore récemment des douaniers européens ont arraisonné des cargaisons non déclarées de Nutella, de produits cosmétiques, de voitures de luxe ou d’alcools prestigieux destinés à la nouvelle élite choyée par le jeune dirigeant nord-coréen. Les Nations Unies et les Etats-Unis s’inquiètent surtout de trois autres spécialités nord-coréennes : le piratage informatique, le trafic d’équipements militaires, notamment nucléaire, et la production de faux billets. La Banque Centrale nord-coréenne étant elle-même responsable de la production de faux dollars américains, elle dispose de moyens techniques qu’aucune mafia au monde n’a jamais pu se procurer. La qualité de ses impressions, du papier ou de l’encre utilisés ne permet pas de détecter les faux billets de 100 dollars qui pourraient inonder plusieurs marchés avec la complicité des mafias locales.
Ces « superdollars » parviennent même presque sans encombre jusque dans les réserves fédérales américaines, ce qui peut laisser craindre le développement d’un juteux trafic au bénéfice de Pyongyang et de son apprenti sorcier Kim Jong Un. Les services secrets américains estiment que près de 50 millions de billets seraient déjà en circulation mais que la capacité de production pourrait être portée à 1 milliard de dollars par an ! La portée des sanctions économiques internationales visant à contraindre le dictateur nord-coréen à stopper ses essais nucléaires et ses tirs de missiles à longue et moyenne portée semble alors très limitée !