Charles de Bourgogne, surnommé plus tard « le Téméraire » est le quatrième duc de Bourgogne et aussi le dernier. Il a hérité d’un vaste empire s’étendant de la mer du Nord aux Alpes mais il n’est pas parvenu à en faire un royaume malgré sa puissance et sa richesse. Son ambition démesurée et sa bravoure lui ont coûté la vie et ont fait disparaître avec lui son rêve de faire naître un nouveau royaume entre celui de France et les terres d’Empire. Le roi Louis XI, son principal adversaire, a su user de tous ses talents de diplomate et de manipulateur pour le détruire et récupérer ses terres et ses richesses.
L’HÉRITIER D’UN VÉRITABLE EMPIRE EN EUROPE
Charles doit son principal titre, celui de duc de Bourgogne, à l’héritage de son arrière-grand-père, Philippe le Hardi, quatrième fils du roi Jean le Bon, qui s’est particulièrement illustré lors de la bataille de Poitiers en 1356. Il obtient alors le duché de Bourgogne et épouse une comtesse de Flandre. Son fils, Jean sans Peur, second duc de Bourgogne, hérite également du comté de Bourgogne, de l’Artois, du Nivernais et du Charolais. L’assassinat de ce dernier par un homme du duc d’Orléans en 1419 provoque la sécession des Bourguignons qui se joignent aux Anglais pour ruiner le roi de France.
Peu de temps auparavant, le duc Jean avait profité des accès de démence du roi Charles VI pour se faire concéder le droit de battre monnaie à sa convenance dans tous les ateliers qu’il contrôlait, à la simple condition de respecter les types monétaires royaux. Son fils, Philippe le Bon s’empresse alors de faire reconnaître tous ses droits et fomente une alliance avec le duc de Bretagne et le roi d’Angleterre contre le roi de France. Devenu riche et influent, il récupère le Brabant et achète le duché de Luxembourg ainsi que différentes terres et cités entre le Rhin et les Flandres. Les cités marchandes du Nord lui rapportent ainsi des revenus considérables et Philippe le Bon est en mesure de tenir tête au roi de France.
Il protège même son fils, le futur Louis XI, qui est alors un peu pressé de succéder à son père. Enfin, pour prix de sa réconciliation avec Charles VII, il obtient de nombreuses villes de Picardie, de Champagne et de Vermandois. Son fils, Charles, né en 1433 à Dijon, est tout aussi pressé de succéder à son père et participe aux batailles en tant que comte de Charolais. Il combat ainsi Louis XI, devenu roi en 1461, qui espère profiter de la faiblesse du vieux duc pour récupérer une partie des terres perdue au profit des Bourguignons.
Charles montre ainsi sa bravoure et sa fougue en repoussant les troupes royales à Montlhéry en 1465 puis en matant avec férocité la révolte des Liégeois déjà provoquée et financée par l’intriguant roi de France en 1466. Finalement, Philippe le Bon meurt en 1467 et Charles semble en mesure de pouvoir réaliser ses rêves de conquêtes et de naissance d’un nouveau royaume. Il dispose alors d’un vaste territoire, certes disparate, mais composé de puissantes cités commerçantes et d’un terroir agricole riche et surtout rentable. Ses revenus égalent ceux des plus puissants souverains d’Europe comme le roi d’Angleterre, l’empereur ou le roi de France.
Il est également responsable de l’émission de nombreux types de monnaies dont des blancs, des deniers et des écus au type royal de France sur ses terres dépendant du roi Louis XI mais aussi des florins, des guénars, des gros, des patars ou des liards en fonction des cités ou des provinces où se situent les ateliers. Son ambition est alors de rattacher toutes ses possessions en un seul bloc, d’unifier toutes les administrations et notamment les systèmes monétaires dans ce qui deviendrait un nouveau royaume européen. Il prend alors le titre de « Grand duc d’Occident » pour se distinguer des ducs vassaux du roi de France et faire valoir des ascendances royales françaises mais aussi portugaises par sa mère et anglaises par sa grand-mère.
UN PRINCE CHEVALIER
D’après les chroniqueurs de l’époque le prince Charles est un jeune homme très instruit et bien éduqué dans la tradition des derniers chevaliers courtois de l’époque. Il est intelligent, parle plusieurs langues et dispose de talents d’artistes. Il est également pieux, généreux, droit et fidèle mais il est surtout courageux et ne craint pas l’affrontement physique qu’il considère comme une épreuve pour fortifier le corps et l’esprit. Il fait d’ailleurs partie des premiers à recevoir le titre de chevalier de la Toison d’Or, ordre créé par son père en 1430 pour rapprocher et honorer les chevaliers des plus grandes familles nobles des territoires qu’il contrôlait.
Son enfance est ainsi bercée par les récits des exploits d’Alexandre, d’Hannibal ou de César et il admire également la bravoure des chevaliers lors des tournois. Son principal plaisir semble alors de participer au plus près aux batailles contre le moindre de ses adversaires. Dès l’âge de 19 ans, il sait faire preuve d’une incroyable cruauté pour châtier un soulèvement des Flamands de Gand en 1452. Ces aptitudes de guerriers lui valent plusieurs surnoms comme le Hardi, le Terrible ou le « Téméraire », ce dernier restera dans l’Histoire. Ainsi à la mort de son père, il dépense sans compter pour fonder ce qu’il veut être la plus puissante armée d’Europe et pour cela il compte sur des mercenaires, militaires de métiers venus de toute l’Europe et confiés au commandement de véritables stratèges venus d’Italie.
En 1468, il accepte de rencontrer Louis XI à Péronne pour négocier une paix durable qui lui permettrait de démarrer ses conquêtes du côté des terres d’Empire sans craindre une traitrise venue de France, mais cette dernière intervient plus vite que prévu lorsque Charles apprend que les Liégeois se sont à nouveau rebellés avec l’aide d’émissaires du roi de France. Il tient alors ce dernier pour responsable et n’hésite pas à le maintenir captif le temps de l’obliger à signer un traité humiliant lui accordant plusieurs nouvelles places fortes du Nord. Il contraint également Louis XI à assister à la répression féroce des révoltés liégeois. Le roi de France accepte de se soumette à ses volontés mais comprend dès lors qu’il devra tout faire pour éliminer ce terrible adversaire. Le grand-duc Charles entame alors son entreprise d’unification de ses terres en achetant pour 50 000 florins au duc d’Autriche, ses provinces de Haute Alsace, de Bade et de Fribourg en 1469.
LE PLUS PUISSANT DUC D’OCCIDENT
En 1471, sûr de sa puissance, le grand duc se déclare affranchi de la suzeraineté du roi de France et se considère comme un souverain de droit divin sur ses terres. Il se fait alors confectionner une formidable couronne d’or ornée de pierres précieuses mais attend d’atteindre son but pour s’autoproclamer roi. Tous ses voisins comprennent donc qu’ils sont en danger et acceptent d’autant plus de s’allier contre lui à l’instigation du roi de France qui est, de plus, disposé à financer toute entreprise contre le duc de Bourgogne. La férocité avec laquelle Charles le Téméraire a maté les différentes révoltes des cités bourgeoises du Nord n’incitent pas non plus ces dernières à soutenir l’entreprise du Bourguignon alors qu’elles constituent un apport financier non négligeable.
En 1473, Charles échoue à se faire élire empereur du Saint Empire, les grands électeurs ont vu arrivé le danger et lui préfèrent un Autrichien mais le Téméraire ne l’entend pas ainsi et, malgré l’obtention de la souveraineté sur la Lorraine, la Savoie et les évêchés de Metz, Toul et Verdun, il tente de capturer l’empereur et son fils qui parviennent à s’enfuir par bateau sur la Meuse. Sa campagne militaire contre les cités rhénanes est cependant un échec et Charles doit demander une nouvelle aide financière aux cités du Nord qui refusent sans surprise toute aide exceptionnelle en 1475.
Dans le même temps, Louis XI achète la paix avec les Anglais pour cinq cent mille écus. Charles parvient à s’emparer de quelques provinces des Pays-Bas avant de se retourner contre la Lorraine qu’il souhaite totalement annexer. Il espère même faire de Nancy la nouvelle capitale de son royaume. Toujours sous l’influence du roi de France, ses principaux ennemis forment une vaste union qui s’étend de la Suisse à l’Alsace pour déclarer la guerre au duc. Charles décide alors de châtier en premier les Suisses en lançant une vaste campagne contre les cantons au pied du Jura.
Il manque malheureusement de recours financiers pour payer convenablement ses mercenaires et ses officiers italiens mais son orgueil et sa bravoure l’aveuglent et il met le siège devant les cités suisses sans craindre la réactions des volontaires des autres cantons. Il est alors sévèrement battu une première fois à Grandson le 2 mars, puis à Morat le 22 juin 1476. Il semble avoir bien trop négligé les aspects financiers. Ses ateliers, qui continuent de frapper en suivant le titre royal, ne semblent pas en mesure de lui fournir le numéraire dont il a besoin pour payer ses troupes. Son armée est donc pratiquement détruite et les mercenaires refusent de le suivre, il doit se replier sur la Bourgogne mais il choisit de concentrer ses derniers efforts sur la Lorraine.
Charles n’a alors plus d’armée et épuisé ses dernières ressources financières. Louis XI a également dépensé sans compter, près d’un million de florins versé mais il n’a perdu aucun homme et peut se préparer à envahir la Bourgogne. En réalité, il n’a pas le temps de s’en donner la peine puisque la trahison des lieutenants du duc de Bourgogne et la résistance de la garnison lorraine ont raison des dernières forces de Charles le Téméraire. Ce dernier disparaît dans la bataille qui se tient sous les murs de Nancy le 5 janvier 1477. Son corps gelé n’est retrouvé que trois jours plus tard au bord d’un étang, il a la tête fendue et les loups ont deja commencé à le déchiqueter. Ainsi finit le plus puissant duc d’Occident habitué à être couvert de riches parures et de tous les honneurs dus à son rang.
Sa dépouille est d’abord enterrée à Nancy avant d’être rapatriée en 1550 à Bruges sur l’ordre de Charles Quint, l’un de ses héritiers. En effet, Louis XI ne parvient pas à récupérer toutes les terres du duc car son unique héritière, Marie de Bourgogne, a préféré épouser le futur empereur germanique Maximilien de Habsbourg plutôt que le fils de son principal ennemi. Charles méritait bien son surnom de « téméraire » mais il lui manquait toutes les qualités dont a fait preuve son principal ennemi le roi de France, car il faut parfois privilégier la diplomatie et les aspects financiers à la fougue et à la gloire que l’on peut espérer des victoires sur les champs de bataille. La Bourgogne ne sera jamais érigée en Etat ou en royaume et elle continuera d’être l’objet de lutte entre la France et l’empire jusqu’au règne de Louis XIV.