C’était il y a 53 ans. Et, qui se souvient, à moins d’être né cette année -là, de l’année 1962 ? Personne ou presque. La Cinquième République est encore balbutiante et le Traité de Rome est entré en vigueur depuis 5 ans seulement. Le marché commun commence à s’appliquer et les droits de douane à baisser. Charles de Gaulle a été élu Président de la République et la guerre d’Algérie touche à sa fin. Les premiers supermarchés font leur apparition, en même temps que la bombe atomique française. Du point de vue monétaire, le nouveau franc, créé en 1958, est entré en application depuis deux ans. Et, en 1962, sont mises en circulation de nouvelles monnaies qui vont apparaître comme quelque peu « révolutionnaires ».
UN PEU D’HISTOIRE
Avec son retour au pouvoir en 1958, le Général de Gaulle va, entre autres choses, s’attaquer à la réforme en profondeur du pays. Que ce soit du point de vue constitutionnel ou économique, il va lui faire faire un grand bon en avant, le faisant quitter un système hérité du XIXe siècle pour le faire passer à l’âge contemporain et permettre à la France d’acquérir une place majeure parmi les nations. En matière monétaire, c’est au ministre des finances Antoine Pinay (qui bénéficie d’une image de confiance et de sérieux) et à l’économiste Jacques Rueff (qui était au cabinet de Raymond Poincaré lors de sa réforme monétaire de 1926-28) qu’il confie la nécessaire réforme monétaire.
Car les années qui séparent la Première Guerre Mondiale de cette seconde moitié du XXe siècle ont été marquées en profondeur par une évolution des usages monétaires. La population et les entreprises utilisent des quantités croissantes de monnaie et la hausse des prix se ralentit. Ces années apparaissent, avec du recul, comme le moment clé de la stabilisation du franc. Le plan Pinay-Rueff en est la pierre angulaire, avec une dévaluation de 17,5 % qui va s’accompagner, dès lors, d’une étroite surveillance de la monnaie. Avec la création de ce « nouveau franc », qui divise par cent la valeur du précédent, la monnaie française redevient librement convertible en devises étrangères, ce qui va accompagner l’ouverture commerciale du pays et le remodelage de ses relations extérieures.
C’est le 27 décembre 1958 que la décision est prise. Elle est annoncée dès le lendemain à la radio et à la télévision par le Président et son ministre des Finances : une nouvelle unité monétaire valant 100 anciens francs est définie ; le taux de change est désormais fixé à 439,7 francs pour un dollar (ce qui aligne aussi le franc sur le mark allemand et le franc suisse) ; la convertibilité externe est rétablie. Cette nouvelle monnaie va bénéficier d’une meilleure image, annulant les suites de 40 ans d’inflation et rénovant le système des prix et des moyens de paiement.
Quant au nom de cette « nouvelle » monnaie, plusieurs écoles vont s’affronter. Du côté d’Antoine Pinay, on penche pour « franc lourd », par comparaison avec la catégorie « poids lourds » des boxeurs. Côté Jacques Rueff, on est plus innovant avec la « livre » qui rappelle à la fois la monnaie de l’Ancien Régime et la puissante monnaie britannique, ou la « gallia », qui évoque à la fois les Gaulois et Charles de Gaulle. Mais pas de « franc de Gaulle » comme il y avait de « franc Poincaré ». C’est Wilfrid Baumgartner, gouverneur de la Banque de France, qui l’emportera avec le « nouveau franc ». En fait, ce qui marquera le plus l’opinion publique c’est cette division par cent qu’elle aura le plus de mal à accepter.
Mais le résultat global de ces opérations sera, au moins temporairement, des plus bénéfiques car la France, endettée jusque là auprès du FMI, rembourse toute sa dette et se retrouve même créancière dès 1961.
LE GRAND CHANGEMENT DES BILLETS ET DES PIÈCES
La préparation de l’opération est à la fois technique et psychologique. Tous les moyens de paiement, les dépôts, mandats, factures, amendes… doivent être libellés en nouveaux francs dès le 1er janvier 1960 au matin. Colossales entreprises que ces modifications en temps et en heure des machines comptables, des chéquiers, des timbres, des comptes bancaires, des catalogues de vente par correspondance, des manuels scolaires… voire même de certains jeux de société.
Pour les 78 milliards d’anciens francs de pièces et 3.351 milliards de billets, deux ans seront nécessaires pour en renouveler la majorité et cinq pour changer la totalité de la masse en circulation. Double effet contradictoire de cette situation : les salariés ont l’impression de s’appauvrir alors que les prix semblent avoir retrouvé leurs valeurs d’avant 1914. Les premiers billets sont, en fait, d’anciens modèles surchargés de leur nouvelle valeur, alors que la Semeuse d’Oscar Roty, symbole de la stabilité monétaire d’avant 1914, reprend du service sur les premières pièces de 1 et 5 francs en nickel.
LA MUTATION DE 1962
N’ayant pas la possibilité technique de renouveler aussi rapidement la masse monétaire métallique, de 1960 à 1962, les anciennes coupures en circulation conservent leur cour légal mais pour… le centième de leur valeur nominale. Le type des nouvelles pièces a été déterminé par des arrêtés ministériels dont le premier est intervenu le 22 décembre 1959. Ce nouveau système est très moderne à la fois par la réduction de la taille des pièces les plus utilisées comme par l’utilisation, pour la première fois dans le monnayage national, pour les pièces de 1, 2 et 5 centimes, de l’acier inoxydable, métal plus dense, plus stable mais aussi plus onéreux que l’aluminium jusque là utilisé.
Deux pièces d’argent ont également été prévues d’une valeur faciale de 2 et 5 francs, mais seule la seconde verra le jour. L’alliage utilisé, au titre de 835 millièmes, n’avait pas été employé depuis la fin du bimétallisme. Concernant la typologie des autres pièces, l’Atelier de Gravure de la Monnaie de Paris se voit confier la création des pièces de 1, 2 et 5 centimes (celle de 2 centimes ne sera pas produite). C’est un modèle complètement original qui est choisi, très épuré, avec un épi très sobre et une légende complètement en écriture cursive. Un arrêté du 27 juillet 1961 a augmenté légèrement le module et le poids antérieurement prévu pour ces pièces.
Les programmes de fabrication de la pièce de 1 centime, qui démarre avec ce millésime 1962, sont limités à des quantités relativement faibles, en raison, tant du prix de revient de cette coupure supérieur à la valeur nominale, que de l’existence d’une masse considérable de pièces de 1 et 1 anciens francs qui, leur cours légal étant maintenu, devraient assurer les besoins initiaux en petites coupures d’appoint.
Au moment du lancement de cette gamme, rien n’avait été prévu pour le design des pièces de 10, 20 et 50 centimes. Pour ces nouvelles pièces, contrairement aux autres émises un peu dans l’urgence, un concours monétaire est lancé. Vingt-neuf artistes vont y participer, choisis parmi les lauréats du Grand Prix de Rome de gravure en médailles et les graveurs ou sculpteurs considérés comme les plus représentatifs, notamment ceux qui avaient été classé lors des précédents concours monétaires. Sur proposition du directeur des Monnaies, un arrêté ministériel du 29 octobre 1960 fixe le cadre du concours.
Sur les vingt-neuf dessins, sept sont retenus pour faire l’objet d’essais de frappe, aux termes desquels le ministre des Finances pourra faire son choix. Par arrêté du 27 juillet 1961, il fixe son choix sur le travail mixte du médailleur Henri Lagriffoul, pour l’avers, et du maître-graveur de la Monnaie de Paris Adrien Dieudonné pour le revers. Un arrêté du 13 novembre 1961 a modifié l’alliage de ces pièces, ajoutant au bronze d’aluminium un faible apport en nickel dont les avantages s’étaient révélés lors des essais techniques. Ce nouvel alliage offre l’avantage d’être plus brillant et moins sujet à se ternir. La fabrication des 10 et 20 centimes commence également dès 1962. Mais elle n’est pas considérée comme prioritaire car ces pièces ont des caractéristiques analogues à celles de 10 et 20 anciens francs. Même aventure pour la pièce de 50 centimes qui va être détrônée dès 1964 par une pièce Semeuse d’un demi-franc au millésime 1965.
L’AJUSTEMENT DU PROGRAMME
Deux décrets vont en 1965 compléter et modifier les textes antérieurs, donnant son visage définitif au nouveau système des monnaies métalliques françaises. Le décret n°16 du 9 janvier 1965 autorise la fabrication de pièces de 10 francs et donc du demi-franc, annonçant déjà la démonétisation des pièces de 50 centimes « Lagriffoul/Dieudonné » auxquelles elles vont se substituer. Quant au décret n°448 du 8 juin de la même année, il prescrit la démonétisation de l’éphémère 5 centimes « Epi » qui va être remplacée par une nouvelle coupure. La pièce de 10 francs est en argent 900 millièmes, de 25 grammes et 37 millimètres de diamètre au type de « l’Hercule » d’Augustin Dupré. Les motifs de la tranche sont dus à Raymond Joly, Graveur Général des Monnaies. Cette émission correspond à un choix très politique car elle illustre la notion de stabilité monétaire et la place retrouvée par le franc parmi les devises recherchées du commerce international.
La création d’un demi-franc reprend une tradition qui remonte à la Révolution. Elle se substitue à celle de 50 centimes « Lagriffoul/ Dieudonné » car, après deux années d’expérience, il était apparu que le public la confondait trop fréquemment avec celle de 20 centimes (25 mm pour l’une et 23,5 mm pour l’autre). L’usage avait donc démontré qu’une différence de 1,5 mm seulement pour deux coupures de même couleur et de même apparence s’avérait insuffisante. En contrepartie, la série des pièces jaunes étant réduite à deux, l’occasion était saisie pour remplacer celle en acier inoxydable par une pièce de cupronickel, moins onéreuse. Cette substitution s’avéra être une véritable réussite car elle s’effectua en quelques mois à peine.
L’importance de la production monétaire de ces années 1960 sera la plus forte que les ateliers du quai Conti auront eu à réaliser. La valeur de la masse des pièces en circulation est passée de 2,14% en 1956 à 3,39 % en 1966. Toutes ces coupures ont été mises en circulation dans les conditions habituelles par la Banque de France, en Métropole, et par l’Institut d’Emission des Départements d’Outre-Mer à la Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.
En revanche, conformément aux instructions ministérielles, les 18 millions de pièces de 10 francs frappées au 31 décembre 1966 ont été mises en circulation à l’occasion du règlement des allocations de vieillesse payées en numéraire par les comptables publics. Pour le plus grand bonheur des enfants et petits-enfants ! Notez que cette période est également marquée par l’apparition des premières séries « Fleurs de Coins », qui apparaissent en 1964.
Cette période marque également le début de l’évolution de la Monnaie de Paris. Tout d’abord, au mois de mai 1965, le ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, choisit le site de Pessac près de Bordeaux pour y implanter la future usine monétaire. En revanche, l’effectif des ouvriers a atteint son maximum avec 768 personnes en 1963. Dès 1966, il passe à 727 et, à l’horizon 1973, il est, compte tenu de la modernisation en cours, annoncé à 550 personnes.
Le décret du 9 novembre 1962 va mettre fin à la période transitoire du « Nouveau franc ». L’unité monétaire nationale française redevient le franc, avec la lettre F pour symbole. Ce franc est divisé en 100 centimes. En revanche, on maintient l’appellation d' »ancien franc » pour l’unité en cours avant le 1er janvier 1960.
QUELLES PIÈCES DANS VOTRE PORTE MONNAIE EN 1958 ?
La variété de pièces en circulation est grande avant la réforme monétaire. Pour celles de 1 et 2 francs on trouve à la fois des « Morlon » en bronze-alu et en aluminium et des « Bazor » Etat Français. Pour les 5 francs, il reste à la fois des « Bazor » en nickel et des « Lavrillier » en nickel, bronze alu ou aluminium. Les 10, 20 et 50 francs sont majoritairement celles de Georges Guiraud. Enfin la 100 francs est celle de Cochet.