Après sept années de guerre civile, l’économie syrienne est à l’agonie. Le clan Assad s’accroche au pouvoir et semble en passe de l’emporter sur ses adversaires avec le soutien de la Russie et de l’Iran mais le dictateur président Bachar Al Assad ne règne plus que sur un tas de ruines et une population encore très divisée malgré l’épuration religieuse et idéologique issue du conflit. Le gouvernement syrien n’est plus vraiment maître de son destin et les luttes d’influences internationales ont pris le pas sur la révolte originelle inspirée par les Printemps Arabes de 2011. En effet, si l’Etat Islamique semble vaincu, les divergences entre Kurdes, Turques, Chiites du Hezbollah et de l’Iran, voisins Israéliens ou Arabes, intérêts européens, américains et russes assombrissent l’avenir et tout espoir de reconstruction de l’Etat syrien.
UN BERCEAU DE L’HUMANITÉ
Les premières traces de l’agriculture, de la métallurgie et de l’urbanisation seraient apparues en Syrie environ 10000 ans avant J.-C. ce qui en fait l’un des berceaux de toutes les civilisations d’Europe et du Moyen-Orient. Idéalement situé au carrefour des routes entre la Mer Noire, la Méditerranée, l’Arabie et l’Afrique, le pays est très tôt convoité par les plus grandes civilisations antiques comme les Égyptiens, les Hittites, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Phéniciens ou les Romains. Il bénéficie donc de tous les progrès apportés par chacune de ces civilisations notamment sur le plan monétaire.
Les premières monnaies d’origine lydienne y circulent donc dès le VIIe siècle avant d’être remplacées par les dariques perses vers 539 puis par les fameux tétradrachmes d’Alexandre le Grand en 333. En 64, Pompée s’empare de la région au nom de l’empire romain pour la protéger des Parthes. La Syrie est alors une province agricole et commerciale très prospère qui permet même à la princesse Zénobie de Palmyre de fonder son propre royaume indépendant au IIIe siècle après J.-C. En 395, la région est rattachée à l’Empire Byzantin qui continue de bénéficier d’une certaine prospérité tandis que l’occident s’effondre, victime des grandes invasions barbares. Le christianisme se diffuse largement dans la région jusqu’à ce que les Omeyyades intègrent la Syrie à leur califat musulman en 661. Damas devient d’ailleurs la capitale d’un gigantesque empire musulman qui s’étend de la péninsule arabique à la péninsule ibérique. La Syrie est alors au cœur du monde musulman dont la civilisation devient l’une des plus raffinées de l’époque. C’est en l’occurrence à Damas en 693 qu’est frappée la première monnaie véritablement musulmane, le fameux dirham d’argent issu des réformes de Abd Al-Malik, puis le dinar d’or en 696 qui fait ainsi progressivement disparaître les monnaies iraniennes et byzantines.
Dirham Argent atelier Damas
Dynastie Ayyubides (Famille Saladin) 1169-1193 AD
Les dynasties Abbassides puis Fatimides remplacent les Omeyyades au VIIIe siècle, les querelles entre les différents courants chiites et sunnites sont alors particulièrement virulents en Syrie. L’invasion des Turques Seldjoukides en 1075 déstabilise encore davantage la région avec l’installation de population turques radicales et surtout la prise de Jérusalem qui entraîne la première croisade des chevaliers occidentaux en 1095. La partie littorale de la Syrie est alors contrôlée par les chrétiens d’Orient et d’Occident tandis que Damas demeure la principale citadelle des musulmans d’où le fameux Saladin, un Kurde, entame la reconquête de la région et fonde sa propre dynastie Ayyoubide en 1171. Les guerriers Mamelouks venus d’Egypte s’emparent de la Syrie en 1255 et en conserve le contrôle jusqu’à l’invasion des Turcs Ottomans en 1516. Ces derniers intègrent la Syrie dans leur empire et leurs propres monnaies, des Akce et des Kurus, peuvent circuler conjointement avec les traditionnelles monnaies musulmanes, Dinars et Dirhems. En 1844, les Turcs introduisent à la place une monnaie plus moderne d’inspiration occidentale, la livre turque mais elle ne s’impose dans tout l’empire que vers 1870. En effet, la résistance des peuples arabes est de plus en plus importante et ils ont le soutien des Occidentaux qui cherchent à protéger les minorités chrétiennes. Ces derniers s’implantent d’ailleurs dès 1861 au Liban pour protéger les moines du Mont Liban.
Durant la Première Guerre Mondiale, les Européens incitent les peuples arabes à se soulever contre les Turcs. Le célèbre Sir Lawrence se charge de convaincre les différents chefs de tribus de s’allier pour libérer leurs terres à partir de 1916. Les Arabes obtiennent même des Anglais et des Français la promesse qu’ils seront indépendants à l’issue du conflit mais les traités d’après-guerre ne leur accordent aucune faveur. Ils sont trahis par le fameux traité secret de Sykes-Picot qui divise le Proche et le Moyen Orient en zones d’influence contrôlées par les Britanniques et les Français, sous mandat officialisé par la toute récente Société des Nations. Le Congrès National syrien choisit cependant de proclamer son indépendance en mars 1920 et le prince Fayçal devient le premier souverain de Syrie mais il est chassé par le corps expéditionnaire français dès juillet 1920. En 1926, les Maronites obtiennent la création d’une zone indépendante dominée par les chrétiens, le Liban.
Le reste de la zone française devient la Syrie dans laquelle les minorités druzes et alaouites sont privilégiées au détriment des Sunnites, des Kurdes et des Turcs. Les autorités françaises, après avoir maté violemment plusieurs tentatives de rébellions, modernisent le pays en le dotant notamment de sa première banque centrale chargée d’émettre les nouvelles monnaies devant remplacer les monnaies turques à partir de 1924. Les kurus sont ainsi remplacés par les piastres et les livres turques sont remplacées par les francs. De magnifiques billets sont d’ailleurs conçus et imprimés en France pour cette occasion dans les années 30. Vichy n’étant pas capable de conserver le contrôle de la Syrie pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle est occupée par les Britanniques dès 1941. La livre britannique devient la nouvelle référence. A la fin du conflit, les Syriens exigent à nouveau leur indépendance mais le Général de Gaulle est intransigeant, la France a besoin de ses colonies pour redresser son économie. Il n’hésite d’ailleurs pas à ordonner le bombardement de Damas le 29 mai 1945 pour mettre fin à toute velléité d’indépendance.
Ce n’est qu’un an plus tard, sous la pression des Britanniques, des Etats-Unis, de l’URSS et de l’ONU, que le gouvernement de la quatrième République française concède l’indépendance. Un gouvernement provisoire républicain se met en place et adopte le dollar comme monnaie de référence pour la livre syrienne en 1947 mais l’une de ses premières décisions diplomatiques est dramatique, il déclare la guerre à Israël en 1948. La défaite entraîne alors une grande instabilité politique et une succession de coups d’état militaires. Le nouveau président élu en 1955 choisit de lier le destin du pays à celui du président Égyptien Gamal Abdel Nasser qui défend les mêmes intérêts arabes contre Israël et les Occidentaux. Ils créent ensemble une éphémère République Arabe Unie en 1958 mais cette union échoue en 1961 pour cause de divergences économiques.
Les opposants du parti Baas, pro-soviétiques, prennent alors le pouvoir par un coup d’Etat le 8 mars 1963. En mai 1964, le nouveau président socialiste Amine al-Hafez promulgue une constitution prévoyant l’établissement d’un Conseil national de la révolution (CNR) composé de travailleurs, de paysans et de syndicalistes mais les militaires s’estiment lésés et prennent le pouvoir le 23 février 1966, avec à leur tête le général Salah Jedid. Celui-ci s’engage dans la guerre des Six-Jours de 1967 qui se conclut par une nouvelle défaite affaiblissant son gouvernement. Les partisans d’une ligne dure profitent de l’impasse due à l’implication de l’armée syrienne dans la crise en Jordanie entre le Roi Hussein et l’OLP (Septembre noir) pour provoquer un nouveau coup d’état le 13 novembre 1970. Cette fois-ci, c’est le Ministre de la Défense, Hafez el-Assad qui dépose Salah Jedid et devient grâce à sa « révolution corrective » le nouvel homme fort de la Syrie.
Retrouvez la partie 2/3 le 3 décembre 2018
Article rédigé par Eduardo Gurgel