En 1991, alors que l’on ne parle toujours pas d’Euro mais encore d’Ecu comme future monnaie unique de l’Union Européenne, apparaît à Douai, une pièce de monnaie, d’une valeur faciale de 1 Ecu, première d’une longue série.
Une explosion d’initiatives
Comme on l’a dit, c’est Jacques Vernier, alors député-maire de Douai qui à l’occasion d’une manifestation intitulée “Semaine Européenne de l’Ecu”, du 2 au 7 décembre 1991 fait frapper la première pièce de ce type (32 mm, 12,07 g). D’une valeur faciale de 1 ECU, elle est fabriquée en étain par la société locale “Les étains de l’Ostrovent”. Elle est mise en circulation dans les bureaux de Poste et a cours durant la période indiquée chez 305 commerçants. Son cour officiel est de 7 francs pour 1 Ecu. 30.000 monnaies sont ainsi écoulées et aucune ne sera rapportée pour remboursement. La différence entre le prix de revient et la valeur d’émission permet de reverser 28.000 francs au Téléthon 1991. Une nouvelle forme de solidarité est née.
Cette première initiative est suivie, l’année suivante, par deux autres à Carcassonne (du 15 au 27 juin 1992, 30.000 exemplaires) et à Cahors (du 7 au 13 décembre 1992, 20.000 exemplaires). Changement de fabrication : il s’agit de pièces en métal coulé, mais également d’un diamètre de 32 mm et fabriquées par des ateliers locaux. Là encore, les bénéfices sont reversés à des oeuvres sociales. Avec l’émission de Cahors apparaît néanmoins une nouveauté : une émission spéciale en argent d’une valeur faciale de 25 Ecu (300 exemplaires). A partir de là, leur nombre ne va cesser de se développer : 10 villes en 1993, 20 en 1994… Notez une forte prédominance pour les villes du sud de la France. De même, dans certaines localités, ce sont des billets qui furent ainsi mis en circulation. Contrairement aux Monnaies, il n’y eut jamais de consignes particulières émanant de la Banque de France feignant de les ignorer pour éviter de les interdire, dans la mesure où ils ne ressemblaient pas, même de loin, aux coupures officielles. Bien qu’ils aient été plus faciles à réaliser et moins coûteux à imprimer, ils furent beaucoup moins nombreux que les monnaies.
De la créativité au respect de notre histoire numismatique
L’intérêt de ces émissions est surtout dû à leur apparition spontanée. D’une gravure, au début, sommaire du fait des techniques de fabrication assez rudimentaires, les illustrations sont, très rapidement, de très grande qualité. Elles mettent en valeur les armoiries, les paysages, les monuments, les coutumes ou les spécialités locales. Et en même temps, les organismes qui émettent ces monnaies s’inscrivent d’emblée dans les usages monétaires français : utilisation de métaux monétaires « classiques » (cuivre, bronze-alu, cupro nickel…), de forme ronde, émission tête/bêche de l’avers et du revers (ce qui différencie une monnaie d’une médaille), légendes, grènetis, listel (rebord extérieur des pièces qui évite, lorsqu’on les empile, d’user les parties gravées)… A la limite les émetteurs des monnaies de nécessité (1914-1921) avaient été sur certains points, plus imaginatifs !
Un tardif encadrement administratif
L’émission de signes monétaires est un droit régalien majeur, apanage de l’État seul. Or là, les autorités ont été très vite débordées par la multiplicité des initiatives et vont mettre deux ans pour édicter les règles de ces émissions qu’il n’est plus possible d’interdire tant elles sont nombreuses et populaires. Claude Feldmann, auteur de l’ouvrage Les ECU temporaires des villes de France, les regroupe en trois catégories :
1) Ne s’agissant pas d’une véritable monnaie, ces Ecus ne doivent en aucun cas ressembler au monnayage français en circulation. Donc l’unité monétaire ne peut être le Franc (on est en 1991 !) et l’apposition des symboles classiques de la République est interdite. De même, le choix du métal, du diamètre, de l’épaisseur ou même de la raisonnance magnétique ne doivent en aucun cas pouvoir induire en erreur les distributeurs automatiques.
2) La validité comme moyen de paiement (tout de même admise) doit être limitée dans l’espace (une ville, un département, une région…) et dans le temps (un mois au maximum). De plus, on doit laisser aux détenteurs la possibilité, s’ils le désirent, d’échanger après la période de circulation, ces pièces contre des Francs. La définition exacte de ces monnaies, autorisées par la Direction du Trésor, était, d’ailleurs « Ecu temporaires ».
3) Ces monnaies doivent impérativement mentionner sur la même face la valeur exprimée en Ecu, le nom de la ville émettrice ainsi que les dates de validité de ces pièces.
1998 ou la fin du phénomène
Cette explosion d’initiatives a fini par partir un peu dans tous les sens. Tout d’abord, au niveau des fabricants, la Monnaie de Paris, sentant lui échapper un juteux marché, a essayé de faire pression pour interdire à d’autres sociétés, qui commençaient également à s’y implanter, le droit de frapper ces monnaies. D’ailleurs, pour faire vivre ce qui était alors devenu un vrai marché secondaire, avec même des ouvrages de cotation spécialisés, ces sociétés n’hésitaient pas à prospecter villes et villages afin de leur faire miroiter notoriété et bénéfices de telles émissions temporaires. Ce foisonnement a également entraîné une forte “normalisation” des émissions, rendues beaucoup moins attrayantes et trop nombreuses pour les collectionneurs. Enfin, de plus en plus d’émissions “fictives” (sans relation avec une véritable circulation locale) virent le jour afin de satisfaire les collectionneurs et certains marchands français (mais aussi allemands) qui achetaient la totalité des productions afin de spéculer sur les valeurs. C’est par exemple, le cas des émissions à tirage très confidentiels en métal précieux, sans changer de valeur faciale.
De plus, en 1996 l’acronyme ECU (European Currency Unit) est remplacé par l’Euro et à l’approche de la mise en circulation de la véritable monnaie européenne, Bruxelles voyait d’un très mauvais oeil ces émissions anarchiques qui venaient perturber sa communication sur ce sujet. D’ailleurs, les dernières émissions ne sont plus libellées en Ecu mais bien en Euro et utilisent pour ce faire le symbole officiel. Si bien que, le 31 juin 1998, elles furent définitivement interdites. On compte 215 villes et villages qui, durant ces 6 ans et demi émirent plus d’un millier de types différents. Ces monnaies ont représenté un épisode court mais intense de l’histoire numismatique française. L’émission actuelle de monnaies complémentaires locales en est un peu la suite.