Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, le travail de comptabilité est particulièrement difficile. Seules des personnes qualifiées, spécifiquement formées pour cela, étaient capables de réaliser des comptes. Et encore… Souvent en restait-on aux simples additions et soustractions aidé de Jetons pour compter les sous. La division quant à elle n’était pratiquée que par quelques experts qui l’avaient apprise en quatrième année de la Sorbonne !
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Compter en livres
La première difficulté est que nous étions alors dans un système duodécimal. En effet, depuis 779 et la réforme de la « livre » par Charlemagne (768-814) dans son fameux Decretale Precum Quoundam Episcoporum, celle-ci se divisait en vingt sous, ou sols, de douze deniers chacun, soit deux-cent-quarante deniers pour une livre. Ce système comptable va ensuite perdurer jusqu’à la Révolution et l’adoption du système décimal avec le « franc ».
Cependant, un historien qui consulte des livres de comptes dans les services d’archives voit parfois apparaître d’autres valeurs, peu connues, probablement parce que considérées comme négligeables : l’obole qui vaut un demi denier et même la pite représentant une demie obole, soit un quart de denier. La livre se divisait donc aussi en quatre-cent-quatre-vingt oboles et en neuf-cent-soixante pites !
Il faut toutefois reconnaître que l’obole, n’étant plus physiquement frappée depuis la fin du XVe siècle, devint, avec la pite, une simple « monnaie de compte » dénuée d’existence matérielle.
Une autre importante difficulté : la livre recouvrait plusieurs valeurs ! En effet, en France il y eut très tôt la « livre parisis », ou livre de Paris, servant d’étalon de référence pour les monnaies frappées dans le domaine royal depuis le XIe siècle environ. La fameuse « livre tournois », ou livre de Tours, ne devint la monnaie officielle française qu’au tout début du XIIIe siècle après les conquêtes de la Normandie, du Maine, de l’Anjou et de la Touraine par Philippe Auguste (1180-1223) suivies de leur rattachement au domaine royal. Mais, livre parisis et livre tournois ont ensuite coexisté jusqu’au XVIIe siècle ! La livre parisis, plus lourde, valait un quart de plus que la livre tournois, soit vingt-cinq sous tournois pour une livre parisis.
Enfin, c’est à peu près à cette même période, suite aux arrêts du Conseil du Roi de 1670 et 1672, qu’apparut une nouvelle monnaie légale, qui ne fut jamais produite, et qui ne circulait donc pas, mais qui servait de référence pour estimer la valeur des marchandises : la livre coloniale, exclusivement réservée « aux Îles et Terre Ferme d’Amérique », ayant un pouvoir d’achat théorique légal d’un tiers supérieur à la livre tournois métropolitaine. Une comptabilité supplémentaire donc, de nouvelles opérations assommantes, mais indispensables à l’épanouissement du commerce transatlantique si lucratif.
Compter à jetons
Pour effectuer toutes ses opérations, le comptable va dès le Moyen Âge s’aider de rondelles métalliques particulières, des « jetons », qui lui permettaient de matérialiser les sommes à additionner ou à soustraire. Pour cela, il les disposait sur un « comptoir », désignant littéralement le support plat sur lequel on compte, marqué d’un quadrillage dont les colonnes étaient attribuées de droite à gauche aux deniers, sous, livres, puis dizaines de livres et éventuellement centaines de livres, voire milliers de livres. Le comptoir pouvait prendre deux formes principales :
– Soit ce quadrillage était directement gravé sur une table, qui ne servait donc qu’à la comptabilité. Cette table particulière était appelée « abaque » ou « échiquier ». C’est de là que vient le titre du « Chancelier de l’échiquier », encore utilisé en Grande-Bretagne pour désigner le Ministre
des Finances. Il était le responsable de l’échiquier royal, donc de la comptabilité publique.
– Soit ce quadrillage était dessiné sur une simple toile de tissus qui était tendue sur une table quelconque pour effectuer ponctuellement les opérations. Cette toile était souvent faite de bure, ce qui a donné le terme de « bureau ».
Face à son comptoir, le comptable n’avait qu’à disposer ses jetons. Par exemple, pour la somme de deux livres, quatre sous et six deniers, il mettait : deux jetons dans la case des livres, quatre jetons dans celle des sous et six jetons dans celle des deniers. Finalement, ce n’était rien de plus qu’un système de boulier à plat.
Le terme de jeton vient littéralement du verbe jeter, car il fallait faire claquer ses jetons et dire les comptes à haute voix,
car la comptabilité ne devait pas se faire en catimini. C’est d’ailleurs pour cela que celui qui contrôlait les comptes était appelé « auditeur », car il écoutait le comptable.
Le terme d’auditeur est toujours employé aujourd’hui pour désigner les contrôleurs de la Cour des comptes.
Les jetons de compte ont presque tous été faits de cuivre, mais il en existe aussi quelques-uns d’argent. Les particuliers,
ou les petites institutions publiques, utilisaient des « jetons banaux », dans le sens d’ordinaires. La ville allemande de Nuremberg se fit une spécialité de leur fabrication et en alimenta l’Europe entière dans de telles proportions que les jetons de Nuremberg sont aujourd’hui toujours très courants. L’iconographie des jetons banaux était souvent inspirée des monnaies et ils portaient parfois des sortes de maximes professionnelles comme légendes : « contes getes et ben sonme », « getes surement »,
« geter sans falir »… Quant aux puissants seigneurs et aux grandes institutions publiques, civiles et religieuses, ils se faisaient fréquemment graver des jetons personnalisés, souvent décorés de leurs armoiries.
C’est au milieu du XVIIe siècle que s’opéra une profonde mutation dans la façon d’effectuer les comptes : de moins en moins « on compte à jetons » car l’on préfère de plus en plus « compter à plume », c’est-à-dire poser les opérations sur une feuille de papier.
La révolution des barèmes
C’est dans ce contexte que furent publiés les premiers « Recueils de comptes tout faits ». Ces livres, bien que n’étant pas des chefs-d’œuvre de littérature, puisqu’ils n’offraient à leurs lecteurs que des séries de chiffres alignés, rencontrèrent un énorme succès ! Tout simplement parce que ces recueils évitaient à leurs propriétaires d’avoir à réaliser eux-mêmes les pénibles additions et les préservaient à coup sûr de fâcheuses erreurs de calcul.
Dans cette série, le principal auteur à succès fut assurément François de Barrême (1640-1703). Après s’être livré au négoce en Italie, il s’installa à Paris où il donna des leçons de tenue de livres de comptes et devint rapidement le protégé du Surintendant aux Finances Jean-Baptiste Colbert (1619-1683). Expert auprès de la Chambre des comptes de Paris et arithméticien ordinaire du Roi, Barrême publia les premiers manuels pratiques de comptabilité et des tables de mathématique destinés au domaine de l’argent. Il passa à la postérité avec son Livre nécessaire, maintes fois réédité et connu plus tard sous le nom de Barême universel, donnant le nom commun « barème ».
Nul doute que la large diffusion des barèmes, couplée à l’utilisation désormais quasi exclusive des chiffres arabes,
avec l’indispensable zéro, a facilité la généralisation de la comptabilité à e telle que nous la pratiquons encore de nos jours.
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