Lorsque le contexte économique et social est difficile, avant l’ultime recours de la vente « des bijoux de famille », on peut se tourner vers le prêt sur gage. Ce que, dans le langage populaire, on appelle « aller chez ma tante ». Et la hausse du cours des métaux précieux a accru de manière significative les dépôts. Mais pourquoi ce nom ? Le Mont-de-Piété doit son surnom « Ma Tante » à François-Ferdinand-Philippe d’Orléans, Prince de Joinville (1818-1900) et troisième fils du roi Louis-Philippe. Ne souhaitant pas révéler à sa mère, la reine Marie-Amélie, qu’il avait mis sa montre en gage au Mont-de-Piété pour honorer des dettes de jeu, il prétexta – lorsque celle-ci s’étonna, un jour, de ne pas la lui voir porter – l’avoir oubliée chez sa tante. Au-delà de l’anecdote, cette vénérable institution joue un rôle particulièrement important et a, ces dernières années, ajouté de nouvelles offres à ses activités. Un petit historique s’impose !
UNE INSTITUTION SOCIALE POUR LUTTER CONTRE L’USURE
Le Crédit Municipal de Paris trouve son origine dans l’exemple italien du Monte di Pietà, institution caritative créée en 1462 par le moine Barnabé de Terni pour lutter contre l’usure. Le premier Mont-de-Piété français voit le jour en 1577 à Avignon alors domaine pontifical. C’est en 1637 sous l’impulsion de Théophraste Renaudot, fondateur du premier journal français La Gazette, que le Mont de Piété ouvre ses portes à Paris. A la mort de Richelieu et de Louis XIII, Renaudot perd ses défenseurs. Un arrêté du Parlement du 1er mars 1644 met fin à l’institution qui ne reverra le jour qu’au XVIIIe siècle, pour lutter contre les usuriers devenus de plus en plus nombreux.
Le roi Louis XVI, sur la proposition du lieutenant général de police de Paris, Jean-Charles-Pierre Lenoir, rétablit cette institution de prêts sur gages par lettres patentes datées du 9 décembre 1777. Le Mont-de-Piété s’installe alors à l’adresse actuelle, entre la rue des Blancs Manteaux et la rue des Francs-Bourgeois, dans le 4ème arrondissement de Paris. Il devient très vite un véritable soutien à une population qui recourt à l’emprunt pour assumer le quotidien.
DU MONT-DE-PIÉTÉ AU GROUPE CRÉDIT MUNICIPAL DE PARIS
Au début du XIXe siècle, le Mont-de- Piété se voit accorder par Napoléon Bonaparte le monopole des prêts sur gages et ouvre de nouvelles succursales pour faire face aux sollicitations de plus en plus nombreuses de la population parisienne. Au XXe siècle, la société change. Des classes moyennes, mais aussi des personnes aisées, rencontrant des difficultés ponctuelles, se tournent vers le Mont-de-Piété, l’amenant peu à peu à devenir un établissement de crédit populaire.
Par décret du 24 octobre 1918, le Mont-de-Piété devient Crédit Municipal de Paris et amorce le développement de ses activités bancaires, parallèlement aux prêts sur gages. Le Crédit Municipal de Paris est ainsi soumis à la loi bancaire de 1984. En janvier 2005, le Crédit Municipal de Paris se réorganise juridiquement en dissociant le secteur bancaire de l’activité traditionnelle de prêt sur gages. Ainsi, la filiale, CMP-BANQUE gère le département bancaire du groupe : prêts de restructuration, prêts de trésorerie, prêts hypothécaires, prêts sociaux, prêts aux associations, comptes bancaires et moyens de paiement, produits d’épargne et de placement… Tandis que la maison mère, le Crédit Municipal de Paris, gère les activités traditionnelles autour des objets d’art : prêts sur gages, ventes aux enchères, expertise et conservation d’oeuvres.
LE MONT-DE-PIÉTÉ, SOURCE D’INSPIRATION ARTISTIQUE
Les scènes de vie des citoyens qui se rendaient au Mont-de-Piété ont inspiré de nombreux artistes. Par leurs oeuvres, ils participeront incontestablement à forger l’image romanesque de l’établissement. Jusqu’au milieu du XXe siècle, la littérature nous renseigne sur les activités et les habitudes de l’institution, preuve de son rôle social prépondérant pour les Parisiens.
• Ferdinand Heilbuth (1826-1889) réalisa un tableau intitulé Le Mont-de-Piété qui représente la salle des engagements dans laquelle un couple présente des objets au guichetier.
• Emile Zola, dans L’assommoir, évoque l’institution : « (…) le Mont-de-Piété avait tout pris, on n’aurait pas pu y porter pour trois francs de bibelots, tellement le lavage du logement était sérieux (…) »
• Victor Hugo, dans Les misérables : « Le mois suivant, ils eurent encore besoin d’argent ; la femme porta à Paris et engagea au Mont-de-Piété le trousseau de Cosette pour une somme de soixante francs. »
• Edmond et Jules Goncourt le racontent dans leur journal : « En prenant le café, Zola et Daudet causent des misères de leur jeunesse. Zola évoque un temps où, très souvent, il avait un pantalon et son paletot au Mont-de-Piété, et où il vivait dans son intérieur en chemise. La maîtresse avec laquelle il vivait alors appelait ces jours-là, les jours où il se mettait en arabe. »
• André Breton titre son premier recueil en 1919 : Mont-de-Piété.
• Jean Giraudoux, dans Siegfried et le Limousin évoque le Mont-de-Piété présent aux quatre coins de la capitale : « Je me hâtais au rendez-vous avec l’aide d’une ligne d’autobus de nouvelle création, mais que Zelten justement aurait eu jadis grand avantage à connaître, car son parcours touche successivement, par hasard ou par bonté municipale, les quatre Monts-de-Piété épars dans Paris… »
• Albert Camus, dans L’étranger : « Il m’a raconté qu’il avait trouvé un billet de loterie dans son sac et qu’elle n’avait pas pu lui expliquer comment elle l’avait acheté. Un peu plus tard, il avait trouvé chez elle une indication du Mont-de-Piété qui prouvait qu’elle avait engagé deux bracelets. Jusque-là il ignorait l’existence de ces bracelets. »
DES ANECDOTES MARQUANTES
• La lettre de Claude Monet adressée le 5 septembre 1879 à un médecin parisien : « Ma pauvre femme a succombé ce matin à dix heures et demie après avoir horriblement souffert. Je suis consterné de me voir seul avec mes pauvres enfants. Je viens encore vous demander un nouveau service, ce serait de faire retirer du Mont-de-Piété le médaillon dont je vous envoie ci-incluse la reconnaissance. C’est le seul souvenir que ma femme avait pu conserver et je voudrais pouvoir le lui mettre au cou avant de partir… « .
• La générosité d’Alberto Santos-Dumont : cet ingénieur et aéronaute brésilien, qui remporta, le 19 octobre 1901, le prix Deutsch de la Meurthe, pour avoir relié en trente minutes aller-retour Saint-Cloud à la Tour Eiffel avec son dirigeable, fit don de la moitié de son prix au Mont-de-Piété. Cette donation de 50 000 francs permit de dégager 7 382 objets : vêtements, chaussures, literie, linge de corps et autre instrument de travail.
• L’empereur Napoléon III fut indirectement mêlé à l’histoire de l’institution : une dame proche du pouvoir engagea un jour un ensemble de bijoux d’une valeur de 50 000 francs. Ces bijoux n’ayant pas été réglés au joaillier, celui-ci porta plainte contre le Mont-de-Piété. Embarrassé, Napoléon III régla personnellement la somme nécessaire au désengagement des objets et les restitua au joaillier lésé. Le secret fut conservé sur l’identité de ladite dame.
• La comtesse de Castiglione : sous le Second Empire, la maîtresse de Napoléon III, la comtesse de Castiglione, dépassée par son train de vie, fut contrainte de déposer discrètement quelques-uns de ses bijoux et 6 fourrures au Mont-de-Piété. Le Directeur de l’établissement de l’époque étant un ami, elle eut la permission de disposer de ses accessoires au gré de ses diverses sorties et réceptions. Elle avait donc pour habitude, avant de se rendre à un dîner, de faire un détour par la rue des Francs-Bourgeois pour « emprunter » les différents objets qui reprenaient leur place à la réouverture des bureaux…
D’INSOLITES OBJETS GAGÉS
• On raconte qu’une dame, chaque matin, apportait son matelas à gager. L’argent lui servait à acheter des pommes de terre en gros, qu’elle revendait au détail dans la journée. Le bénéfice de cette vente lui permettait, chaque soir, de récupérer son matelas pour la nuit.
• Au siècle dernier, le Mont-de-Piété abrita quelques parapluies célèbres pour leur dépôt sans cesse renouvelé. L’un d’eux resta 47 années consécutives au clou. Un jour, pris de commisération, un employé le renvoya à son propriétaire qui le refusa, prenant ce geste pour une aumône…
• L’hiver, le hangar de la succursale de le rue Servant était envahi de bicyclettes mises en gage jusqu’au printemps. Leurs propriétaires économisaient ainsi les frais coûteux d’un garage. La pratique fut reprise au XXe siècle pour les automobiles, et plus étonnamment pour des autocars, des caravanes, un avion monoplace et même une moissonneuse-batteuse.
LE CRÉDIT MUNICIPAL DE PARIS AUJOURD’HUI : UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC SOCIAL ET MUNICIPAL
Le Groupe Crédit Municipal de Paris occupe une place originale dans le système financier français, en raison de sa double mission sociale et parisienne. Le Crédit Municipal de Paris est un Etablissement Public Administratif. Outre les métiers traditionnels de la banque, l’institution fait appel à des compétences spécifiques : commissaires-priseurs, assesseurs, magasiniers spécialisés, experts… Le Crédit Municipal de Paris, la plus ancienne institution financière parisienne, propose aujourd’hui une gamme complète de crédits et de services destinés à tous, et plus particulièrement à ceux qui ne trouvent pas de réponse dans le système financier classique.
Il développe ses activités autour de l’objet et les produits bancaires :
LES PRÊTS SUR GAGES
Pratiquée depuis 1637, cette forme de crédit consiste à déposer en gage un objet de valeur (bijou, argenterie,
tableau, sculpture, tapisserie, verrerie, instrument de musique…) contre un prêt immédiat représentant 50 à 60 % de la valeur de l’objet sur le marché des enchères publiques. Les prêts sont accordés à partir de 30€ et sans plafond. L’emprunteur reste propriétaire de son bien qu’il peut récupérer contre remboursement du prêt au Crédit Municipal de Paris. 9 personnes sur 10 récupèrent leurs objets, les objets non récupérés sont mis en ventes aux enchères publiques. Le produit de la vente servira à rembourser le prêt et les intérêts. S’il y a un bénéfice (boni), il est reversé au client s’il y a une perte, elle est à la charge du Crédit municipal.
LES VENTES PUBLIQUES
Spécialement conçu pour l’achat et la vente d’objets de valeur (bijoux, montres, oeuvres d’art), l’hôtel des ventes du Crédit Municipal de Paris organise chaque année une centaine de ventes aux enchères publiques, en collaboration avec des commissaires-priseurs appréciateurs et des experts.
Munigarde ou la conservation sécurisée des objets d’art
Tableaux, sculptures, meubles, bijoux…sont placés en lieu sûr pour une durée allant de la journée à l’année. Conservés dans des chambres fortes ou dans un espace collectif sécurisé, les objets sont mis à la disposition de la clientèle dans des salons privatifs pour y être exposés, expertisés ou photographiés.
MUNIGARDE OFFRE ÉGALEMENT DES SERVICES COMPLÉMENTAIRES :
le transport d’objets, la restauration d’œuvres d’art, des locaux ayant le statut d’entrepôt douanier et la tiers-détention d’objets pour le compte d’organismes qui souhaitent bénéficier d’une garantie sans s’occuper de la conservation des objets.
MUNIEXPERTISE ET L’EXPERTISE DES OBJETS D’ART
Evaluer précisément la valeur des biens est indispensable pour les assurer et éventuellement les transmettre. Les commissaires-priseurs appréciateurs et les experts spécialisés estiment tous types d’objets précieux et délivrent un certificat d’expertise en valeur de réalisation en vente aux enchères ou en valeur d’assurance.
LE SAVIEZ-VOUS ?
• Le griffon, emblème du Crédit Municipal de Paris, prend son origine en Italie au XVe siècle. Cet animal mythologique, doté d’un corps de lion, d’ailes et d’un bec d’aigle, qui gardait les mines d’or d’Apollon dans le désert de Scythie, était déjà l’emblème du premier Monte di Pietà crée en 1462 par le moine Barnabé de Terni.
• Victor Hugo, Paul Verlaine et Emile Zola eurent, en leurs temps, souvent recours au prêt sur gage au Mont-de-Piété.
• Certains sculpteurs avaient pour habitude d’engager une partie d’une oeuvre en cours de réalisation (un bras ou une jambe de statue) afin d’obtenir un prêt pour subvenir à leurs besoins jusqu’à l’achèvement de leur travail.
• Charles-François Viel, l’architecte choisi pour réaliser une partie des travaux du Mont-de-Piété au XVIIIe siècle, fut l’élève de Charles Chalgrin, auteur de la reconstruction du théâtre de l’Odéon et des plans de l’Arc de Triomphe. Il fut nommé architecte de l’Hôpital général en 1781. Il travailla sur les bâtiments de l’Hôpital Cochin et de la Pitié et réalisa les façades de l’hôpital de la Charité et le grand amphithéâtre de l’Hôtel-Dieu.
• Le 30 janvier 2003, soit 54 ans 4 mois et 16 jours après avoir été déposé, un lot de bijoux (2 colliers et une médaille) a été récupéré par la famille de l’engagiste qui, durant toutes ces années, réglait régulièrement les intérêts du prêt.
QUELQUES CHIFFRES
Le Crédit Municipal de Paris c’est :
> plus de 10 millions d’objets en dépôt
> le nombre des prêts demeure fortement lié au dépôt de bijoux, très majoritairement par des femmes vivant en région parisienne
> la valeur moyenne des prêts est passée en un an de 842e à 990e
> plus de 90 % des objets déposés sont récupérés par leurs propriétaires
> 15.000 lots ont été mis aux enchères en 2011 pour un montant vendu de 14 millions d’euros