par Eduardo Gurgel
Alors que la Première Guerre Mondiale est terminée, l’Europe, ruinée, peine à se relever. Les économies nationales sont exsangues et le recours exceptionnel aux monnaies de nécessité devient plus que jamais indispensable pour compenser le manque de monnaies en circulation et relancer les échanges, aussi faibles soient-ils. D’ailleurs les Etats, moins préoccupés par la guerre, peuvent enfin prendre le temps d’organiser les approvisionnements, la mise en place de nouvelles bases monétaires et régler la question des réparations mais l’hyperinflation, les dettes et les reconstructions freinent le retour à la normal. L’époque de la circulation courante des belles pièces d’or et d’argent semble révolue !
Les Chambres de Commerce, seule réponse à l’urgence d’après-guerre !
A la fin de la guerre, la situation économique est telle que l’Etat est incapable de répondre immédiatement aux besoins élémentaires de la population. Il faut transformer les usines d’armement en usines conventionnelles. Il faut peu à peu redémarrer les productions agricoles. Il faut rétablir les communications, notamment avec le Nord de la France, pour relancer le commerce et remettre en circulation les monnaies nécessaires à tous les achats du quotidien. Sans parler de la situation financière nationale avec des dettes immenses à rembourser auprès de nos alliés en attendant les hypothétiques réparations de l’Allemagne vaincue. A la fin de l’année 1918, il n’est donc pas encore possible de mettre fin au rationnement et de retirer de la circulation les billets de nécessité. D’ailleurs, en décembre 1918, une nouvelle émission de coupures de 1 franc et de 50 centimes, assurée par les Chambres de Commerce, est lancée pour compléter les émissions ayant eu lieu pendant le conflit. En Février 1920, ce sont à nouveau plusieurs millions de billets de 25 centimes à 1 franc qui sont mis en circulation avec l’autorisation de l’Etat, mais le Ministère des Finances envisage déjà la suite des opérations.
En effet, la multiplicité des types de bons de monnaie, leur circulation théoriquement régionale qui n’est plus vraiment respectée et surtout l’usure rapide de ces coupures de papier, sont autant de défauts qu’il faut corriger afin de ne pas perturber le commerce, de faciliter les remboursements et d’éviter les tentatives de fraudes. Le gouvernement envisage donc, dès 1920, après avoir constaté la trop lente remise en circulation des monnaies d’or, d’argent ou de bronze, dont beaucoup ont déjà été récupérées par l’Etat lors des fameux emprunts de guerre et reversées sous forme de lingots aux pays alliés comme l’Angleterre ou les Etats-Unis qui disposent alors du plus formidable stock d’or de l’époque, de lancer l’émission de nouvelles monnaies métalliques de petite valeur, de 50 centimes à 2 francs, sous l’égide toujours des Chambres de Commerce. Ces jetons, en bronze d’aluminium, sont destinés à remplacer progressivement tous les billets de nécessité qui circulaient encore sur l’ensemble du territoire.
Par ailleurs, afin de protéger ceux qui avaient encore en leur possession ces coupures et de garantir leur remboursement, une loi est votée le 29 avril 1921 pour les protéger contre le faux monnayage, car jusqu’alors, seules les monnaies d’or, d’argent et de bronze respectant le système mis en place avec le Franc Germinal, étaient considérées comme les seules monnaies légitimes de l’Etat et donc protégées par la loi. Ces nouveaux jetons étant destinés à une circulation nationale, leur frappe est confiée à la Monnaie de Paris et la Banque de France se charge de les mettre en circulation. Ces « Bon pour 50 Centimes », « Bon pour 1 Franc » ou « Bon pour 2 Francs » étant émis à la charge des Chambres de Commerce, ils ne comportent pas la marque habituelle du Graveur Général et ne font pas mention de la République Française mais plutôt des « Chambres de Commerce de France ». Ils sont mis en circulation à partir du 15 septembre 1921 à Paris et du 15 novembre 1922 en province. Leur remise est effectuée aux comptoirs des succursales de la Banque de France en échange de billets de valeur équivalente.
Près de 800 millions de Francs en jeton « bon pour » ont été mis en circulation jusqu’au 1er juillet 1924, une partie ayant été aussi mise en circulation en Algérie et dans les colonies. A cette date, l’Etat estimant que la plupart des billets de nécessité ont été retirés de la circulation et qu’il est enfin en mesure de faire frapper de nouvelles pièces, décide de ne plus autoriser la circulation des billets dans un délai de 3 mois et de mettre fin progressivement à l’émission des jetons des Chambres de Commerce qui ont déjà bien rempli leur mission. Ils continueront cependant d’être frappés jusqu’en 1928, avant d’être remplacés par les types Morlon frappés à partir de 1930, et leur circulation sera tolérée jusqu’en 1949 ! Cependant, le Franc ayant perdu près de 70% de sa valeur face au dollar pendant le conflit, il devient presque impossible de rétablir sa convertibilité en or et en argent selon le système bi-métallique mis en place avec la création du Franc Germinal en 1803. La frappe de pièces d’argent a donc cessé en 1920 pour laisser la place à des frappes de monnaies en aluminium ou en cupro-nickel.
Le gouvernement se rend compte également que le paiement des réparations allemandes prévu par le traité de Versailles de juin 1919 ne sera pas respecté. Il tente bien de faire occuper la Rhur en janvier 1923 pour aller directement réquisitionner des richesses en minerais de fer et charbon mais la condamnation internationale et l’hyperinflation que connaît l’Allemagne à cette époque, l’oblige à renoncer. Le 25 juin 1928, le gouvernement Poincaré met fin au système Germinal en dévaluant le Franc. De nouvelles pièces de monnaie de 10 et 20 francs en matériaux vils font leur apparition en 1929. C’est la fin de la circulation courante des monnaies d’or, d’argent ou de bronze auxquels étaient habitués les Français depuis l’Ancien Régime.
Désormais, suivant l’exemple des monnaies des Chambres de Commerce et des monnaies de nécessité de 14-18, ce sont des pièces et des billets sans valeur physique véritable qui doivent être admis avec un cours « forcé » officiel. Beaucoup de nostalgiques ont conservé les plus beaux exemplaires d’or et d’argent, non pas pour les utiliser en tant que monnaie mais pour les thésauriser. Ces pièces ont bien souvent constitué le point de départ d’une collection quand elles n’ont pas été transformées en bijoux ou mises de côté, tel un trésor de famille, revendable en cas de coup dur exceptionnel, suivant le cours de l’or et des pièces de collection.
Des mesures exceptionnelles dans les nouveaux territoires sous autorité française
La victoire française de 1918, bien qu’elle soit désastreuse pour l’économie du pays, permet le retour de l’Alsace Lorraine à la France… mais là encore, la situation monétaire est problématique… car les Alsaciens sont soumis à la circulation du Mark depuis 1870 et les monnaies françaises, déjà rares sur le reste du territoire, vont avoir du mal à s’imposer. Le gouvernement décide donc, à titre exceptionnel et provisoire, de faire imprimer localement de nouvelles monnaies de nécessité à partir du 18 décembre 1918. Ces billets doivent tout d’abord être échangés contre des Marks, puis ils sont progressivement échangés contre des Francs auprès des caisses municipales alsaciennes jusqu’en décembre 1920. L’Alsace parvient alors à échapper à la crise monétaire sans précédent qui touche son voisin allemand au début des années 20. En effet, l’hyperinflation allemande oblige les autorités de la République de Weimar à autoriser la circulation de nombreux billets de nécessité, appelés Notgeld ou Gutschein, bien souvent de piètre qualité mais parfois plus adaptés à l’usage que les billets portant des valeurs de plusieurs millions de marks et n’ayant pratiquement plus aucune valeur réelle jusqu’en 1924.
D’ailleurs, les troupes françaises qui partent occuper la Rhur en 1923 sont obligées de se doter de leur propre monnaie pour échapper au phénomène. Ainsi, les régies de chemin de fer française et belge, chargées d’organiser le rapatriement des minerais confisqués, décident de mettre en circulation des billets affichant des valeurs « bon pour » 1 à 50 francs, à partir de septembre 1923. Leur circulation est théoriquement réservée aux usagers des deux régies mais bien vite, les services de douanes, les militaires et les fonctionnaires des houillères les adoptent également pour des raisons pratiques évidentes, car les Francs sont encore difficiles à se procurer et les Marks ne valent plus rien. Ces billets seront ainsi émis jusqu’en 1924 et leur remboursement sera accepté jusqu’en janvier 1925 car on pouvait les retrouver fréquemment jusqu’à Paris puisque les cheminots ou les militaires en permissions venaient les dépenser chez les commerçants proches de la gare de l’Est qui les acceptaient.
Les monnaies timbres : la philatélie rejoint la numismatique !
Au lendemain de la guerre, les « bons » métalliques des Chambres de Commerce ne semblent pas suffire surtout pour ce qui concerne les plus petites valeurs de l’ordre de quelques centimes. Ce manque de petites monnaies est tel que certaines entreprises décident de contourner la loi qui ne leur permet plus d’émettre des monnaies de nécessité en détournant l’utilisation d’émissions officielles de l’Etat dont la valeur faciale est déjà reconnue, celle des timbres postes, pour les accoler à des pièces de métal, des jetons ou même des bouts de carton sans valeur. Ces timbres monnaies ont l’avantage de ne pas nécessiter d’autorisation de l’état et de n’afficher que des petites valeurs, de l’ordre de 1 à 25 centimes de franc, pourtant indispensables pour les échanges locaux. Elles constituent également une bonne publicité pour l’entreprise émettrice qui ce contente de fabriquer une capsule métallique ou une pochette, souvent colorée, à son effigie.
Une firme s’est spécialement illustrée en lançant le fameux « Fallait y penser », FYP, pour réutiliser les timbres monnaies à des fins publicitaires, dans son cas, celle du fer blanc Robert Binds Hedler. Beaucoup d’autres ont suivi son exemple dont de nombreux grands magasins, des producteurs de liqueurs ou de bière, des banques, des marques de lessive ou de dentifrice, des musées, des pharmacies, des usines et même certaines communes comme le Puy ! On recense plus de 600 émetteurs mais on ne retrouve alors que peu d’exemplaires de chaque production, quelques centaines ou au mieux quelques milliers, ce qui rend difficile cette collection.
A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, la situation monétaire semble assainie et les Français s’habituent peu à peu à la circulation de ces monnaies de cupronickel, d’aluminium ou même de zinc mais le déclenchement d’un second conflit avec l’Allemagne d’Hitler vient à nouveau perturber le système monétaire français.