Monnaies Royales par Gildas SALAÜN, responsable du Médaillier au Musée Dobrée à Nantes. © Monnaie Magazine – Gildas SALAÜN
Dans la numismatique du Roi Soleil, l’écu à la cravate constitue un véritable ovni ! Tout d’abord, parce que la représentation du souverain ne correspond pas aux critères habituels. Ensuite parce qu’il recèle de nombreuses variantes importantes pas toujours simples à déceler si l’on ne sait pas où regarder…
Un type peu ordinaire
L’écu à la cravate est frappé à partir de 1672 au cours de trois livres tournois. Sa production, tout d’abord limitée à Paris, s’étend progressivement aux autres ateliers du royaume, notamment Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Sur ce nouveau type, la représentation du Roi tranche complètement avec la figuration habituelle du monarque. En effet, Louis XIV (1643-1715) n’apparaît pas habillé à l’Antique, comme le veut la tradition instituée depuis 1640, mais à la mode de son temps : le buste du Roi est drapé, il arbore le grand cordon de l’ordre du Saint-Esprit, mais surtout il porte une fine moustache, une cuirasse typique du XVIIe siècle, une belle cravate brodée et une impressionnante perruque.
La cravate ici portée par le Roi est le détail qui a inspiré la dénomination de ce type. Or, certains l’appellent aussi “écu du Parlement”. Cette désignation est erronée, mais pas sans fondement, car le jabot de dentelle est l’un des attributs des avocats au Parlement de Paris.
La mode, c’est moi !
Les attributs contemporains, cravate, cuirasse et perruque, font assurément le charme de cette pièce graphiquement très réussie. Ils en font aussi toute la singularité puisque ce type est le seul modèle à figurer tant d’éléments “modernes”, Louis XIV se faisant de nouveau représenter à l’Antique sur tous les autres écus à partir du milieu des années 1680.
Comment l’expliquer ?
Louis XIV monte sur le trône à la mort de son père en 1643. Mais, le Roi n’est encore qu’un enfant de cinq ans et c’est sa mère, Anne d’Autriche (1601-1666), avec le cardinal Mazarin (1602-1661), qui exerce le pouvoir durant une longue période de régence. Ce n’est en effet qu’en 1661, après la mort de Mazarin, que Louis XIV prend personnellement le contrôle de l’Etat. A cette période, son goût pour les fêtes, le théâtre, la musique, les arts en général est déjà fortement affirmé… Son attention à mettre en scène sa personne aussi… Il crée même “la mode”, comme par exemple la fine moustache, mais plus encore les fameuses grandes perruques longues que toute la noblesse adopte par imitation.
Dans ce processus, l’artiste Robert Nanteuil (1623-1678) joue un rôle capital : dans les années 1660 et 1670, il exécute de très nombreux portraits du Roi représenté au naturel, à la mode de son temps, et non pas à l’Antique. Les portraits réalisés par Nanteuil connaissent un énorme succès, ils sont reproduits en gravures très largement diffusées à travers le royaume.
Et bien, les écus à la cravate en font tout autant ! La comparaison avec les portraits exécutés par Nanteuil est saisissante ! A n’en pas douter, les écus à la cravate, en complément des nombreuses gravures, servent à diffuser l’image réaliste du souverain, à populariser la personne royale, à mettre le Roi à la mode !
Une série plus complexe qu’il n’y paraît
Son modèle changeant année après année, Robert Nanteuil exécute de nombreuses mises à jour de ses portraits. A nouveau, il en est de même sur les écus à la cravate. En effet, peu de collectionneurs y prêtent attention, mais les écus à la cravate constituent une série beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Tout d’abord, celle-ci comprend deux types successifs, réalisés par deux artistes différents. En effet, les premiers écus à la cravate ont été réalisés par le jeune François Varin, qui venait tout juste de succéder à son célèbre père Jean à la charge de Graveur Général des Monnaies. Mais, le deuxième type, produit à partir de 1683, est l’oeuvre de Joseph Roettiers, nouveau titulaire de la charge de Graveur Général, nommé par commission en 1682 suite à l’arrêt du Roi supprimant le caractère héréditaire de la fonction.
Cette série est également complexe car, pour le premier type, on ne dénombre pas moins de quatre portraits différents ! Ceux-ci se reconnaissent aux différentes cuirasses, aux cravates et aux perruques plus ou moins longues.
Par ailleurs, le revers réserve également quelques surprises car si l’ensemble des ateliers du royaume appose logiquement l’écu de France aux trois lis, celui de Saint-Palais (Pyrénées-Atlantiques) marque ses productions d’un écu de France-Navarre et celui de Pau (Pyrénées-Atlantiques) d’un écu de France-Navarre-Béarn… Ces deux derniers sont particulièrement rares. Ainsi, les trois ateliers, voisins pourrait-on dire, de Bayonne, Saint-Palais et Pau frappaient-ils les mêmes monnaies, mais avec trois revers différents !
Rappelons enfin que la série à la cravate comprend différentes valeurs : l’écu (41 mm ; 27 g), le demi-écu (33 mm ; 13,5 g), le quart d’écu (27 mm ; 6,75 g) et le petit douzième d’écu (20 mm ; 2,26 g). Les écus et demi-écus sont encore simples à trouver aujourd’hui, alors que les quarts et douzièmes sont quant à eux beaucoup plus rares.
L’écu à la cravate, nous l’avons dit, est une pièce relativement courante aujourd’hui, pourtant, son prix demeure élevé. Ceci est certainement dû à la réussite esthétique indéniable qui fait de cette pièce de monnaie une véritable oeuvre d’art, un superbe tableau sur métal. Mais, cette surcote est aussi probablement due à la fascination qu’exerce encore le Roi Soleil… Trois siècles après sa mort, Louis XIV serait-il toujours à la mode… ?
Gildas Salaün, vous fait découvrir le « trésor du Pouliguen ».
Gildas Salaün est le responsable du médaillier du musée Dobrée de Nantes, Il raconte l’histoire d’un trésor composé de plus de 320 pièces d’or, locales ou étrangères.
Il est spécialiste des monnaies royales. Retrouvez dans chaque numéro de Monnaie Magazine ses articles avisés et son expertise sur les monnaies royales