Nous sommes au XVIe siècle, les envahisseurs espagnols déferlent avec cruauté sur les terres des Incas. Ils pillent et volent tout sur leur passage, saccageant temples et villages. Ces conquistadors n’ont qu’une idée en tête : accumuler l’or qui se trouve partout dans la région du Volcan Sangay pour le ramener au pays.
El Sangay est non seulement un volcan qui vomit ses laves de façon active, mais c’est aussi le « Dieu du Feu » pour les Incas.
C’est donc auprès de ce Dieu que les tribus des Incas, chassées par les Espagnols ont décidé de cacher leur immense trésor. Il faut dire que le volcan est une forteresse en soi, qui se réveille régulièrement en crachant le feu et constitue du coup, une cachette imprenable.
Détaché de la chaîne principale des Andes orientales, Sangay surplombe le bassin de l’Amazone à une altitude de près de 6000 mètres. Bien qu’il soit approximativement à cent cinquante kilomètres au sud de l’équateur, son sommet est recouvert d’une glace épaisse et solide, brisée seulement par cinq ou six rivières de lave incandescente qui, presque sans interruption, coulent sur ses pentes à pic.
Au pied du versant oriental commence une forêt tropicale qui s’étend sur près de cinq mille kilomètres. Au cours des siècles, des montagnes de cendres volcaniques ont formé un labyrinthe de gorges noires qu’il est impossible d’escalader. Au pied de chaque canon, en raison des pluies torrentielles qui tombent presque quotidiennement, descendent des cascades monumentales et des torrents au cours tumultueux. En vérité, Sangay est un véritable Dieu païen du tonnerre et du feu qui frappe de mort ceux qui essaient de le conquérir.
La panique et l’urgence de mettre en sûreté leur trésor, s’étaient emparées des Incas. Pendant les mois torrides et accablants d’août, septembre et octobre 1533, plus de dix mille Incas en sueur, malgré leur demi-nudité, travaillèrent fiévreusement sur les pentes à pic, faites de lave, du volcan El Sangay, leur « dieu du feu ». Ils descendaient avec soin dans une gorge profonde, des milliers d’idoles de reliques sacrées en or, arrachées de leurs temples et transportées par d’innombrables caravanes de lamas jusqu’à cette région broussailleuse et désolée de l’Équateur, afin d’empêcher les guerriers espagnols détestés de s’en emparer, car ces guerriers s’approchaient de plus en plus de leur citadelle sainte et faisaient main basse sur tout ce qui était or.
Dans cette gorge béante, large de près de huit cents mètres, furent enterrées les masses d’or les plus colossales que les hommes aient jamais vues et où figuraient non seulement leurs idoles païennes, mais les biens les plus coûteux et les plus somptueux de la royauté Inca : assiettes, tasses, soucoupes en or, des milliers de coupes savamment travaillées et sculptées incrustées de pierres précieuses, de considérables blocs d’or pur qui avaient servi d’autels pour les sacrifices, et des coffrets de cuir remplis d’émeraudes scintillantes. Dès que fut remplie la crevasse faite au flanc du volcan, elle fut recouverte de branchages d’abord, puis de roches volcaniques par tonnes.
C’est donc aux pieds du Sangay que reposerait sous sa protection, le trésor des tribus incas, chassées par les Espagnols… Sans compter que d’autres fortunes en or pourraient aussi avoir été cachées dans les montagnes des Andes ou encore versées dans les rivières, ou enfin immergées dans les eaux du lac Titicaca, entre la Bolivie et le Pérou.
Bien après la razzia espagnole, quantité de chercheurs de trésors ou d’aventuriers ont essayé de retrouver les traces du trésor du volcan, les traces du trésor du « Dieu du Feu », sans succès au demeurant.
Parmi toutes les recherches au fil des années, il y eut deux tentatives récentes, qui méritent d’être soulignées. Une, qui fit un assez grand bruit à l’époque, était celle de Franck Rocco et de son ami Edward Kaupp. Tous deux tentèrent l’aventure de l’ascension du Volcan et de la recherche de l’or. Ils mirent au courant les autorités officielles en leur faisant part de leur projet de rechercher l’or des tribus Incas. On n’entend plus parler d’eux pendant quelque temps. Les jours passèrent sans apporter de nouvelles des intrépides aventuriers. Pour finir, l’armée équatorienne envoya plusieurs alpinistes patentés pour essayer de retrouver les absents. En outre, l’ambassade des Etats- Unis de Quito envoya une autre formation de secours, sous la direction du consul général Harry Lofton, car Kaupp était Américain. Bien que celui-ci eût escaladé le sommet, il en est peu qui aient réussi dans cette périlleuse entreprise, il ne put découvrir aucune trace de Rocco non plus que de Kaupp. Peu après des soldats équatoriens retrouvèrent Kaupp semi-conscient et délirant, au pied de la montagne et le ramenèrent au village de Culebrillas ; il était terriblement touché. Il raconta une histoire assez décousue d’après laquelle, avec Rocco, il aurait fait l’ascension du Sangay jusqu’au sommet. Ils avaient eu la chance que le volcan ne fût pas encore en éruption, mais ils furent terriblement atteints tous les deux par les gaz sulfureux qui s’en dégageaient en des centaines d’endroits et émanaient du sol sous les couches de lave. Pour redescendre, ils avaient emprunté un chemin différent et s’étaient trouvés devant un gigantesque escarpement vertical qu’il était impossible de franchir. Les deux hommes, déjà mal en point et affamés, se trouvèrent face à l’alternative de rebrousser chemin jusqu’au sommet et de reprendre la première piste qui offrait une certaine sécurité, ou de continuer à descendre, et c’était le désastre à peu près certain. Kaupp revint en arrière, mais Rocco, en plein délire, décida de poursuivre sa route en dépit des obstacles qu’elle présentait. Bien que des efforts inimaginables aient été faits pour retrouver Rocco, il fallut finalement y renoncer. D’après le gouvernement de l’Équateur, Frank Rocco est tombé victime d’un sort injuste sur les flancs du Sangay.
L’autre tentative pour retrouver le trésor du Sangay est plus rocambolesque. Elle concerne un homme, un archéologue, le docteur Kurt Von Ritter, installé à Quito pour ses travaux scientifiques. Mais von Kritter se passionne aussi pour cette légende de trésor sur les flancs du volcan. Le scientifique était aussi un peu aventurier, il restait persuadé que l’empereur des Incas, (Atahualpa) prisonnier des Espagnols, avait fait donner l’ordre depuis sa prison, à toute la famille restée libre, de transporter tous les objets présents au pied du Sangay. C’est donc là qu’il fallait chercher. Il se mit en route un beau jour à la conquête du trésor du volcan. Mais quelle aventure et quelles souffrances ! Car le chemin était semé d’embûches de toutes sortes.
Jamais il ne traversa le moindre pueblo ; en revanche, il rencontra par douzaines, des fleuves remplis de gigantesques crocodiles noirs ; il se vit entouré de piranhas mangeurs d’hommes et d’énormes anacondas qui, tous, présentaient une menace constante et mortelle.
Un matin de bonne heure, il atteignit un vaste plateau, et pour la première fois, le Sangay était en vue. Des flammes géantes s’élançaient vers le ciel, du cratère couvert de neige ; le sol tremblait, tandis qu’un grondement sinistre accompagnait de continuelles explosions. Le docteur campa à un kilomètre et demi environ de la base du volcan pendant plusieurs jours jusqu’à ce que, dans une dernière et formidable explosion, le volcan semblât avoir ébranlé la terre et, soudain, parut calmé. Von Ritter jugea prudent de rebrousser chemin provisoirement et il finit, épuisé, les pieds en lambeaux, par tomber sur un village d’Indiens pacifiques qui l’accueillirent et le soignèrent. Il décida de se refaire une santé au sein de ce village, d’autant plus qu’une jeune indienne fut plus spécialement attachée à sa personne. Elle s’appelait Ahana. C’était le premier Blanc qu’elle voyait. Au bout de quelques jours, Ahana raconta à Von Ritter que bien souvent, lorsque le dieu du Feu dormait, elle passait de longues heures sur ces escarpements verticaux, fascinée par la vie étrange qu’elle y rencontrait ; et elle arriva une fois, porteuse d’une sculpture représentant une silhouette de femme, trouvée par elle, disait-elle sur les flancs du volcan. Von Ritter la prit et l’étudia attentivement, puis, avec l’ongle, il gratta le revêtement de poudre de lave qui l’enveloppait. Son cœur bondit de joie : une teinte jaune commençait à apparaître sous la partie nettoyée. La statuette était en or pur. Cette jeune Indienne de seize ans, sans le savoir, venait de découvrir ce que des mois d’efforts lui avaient refusé. Bien sûr, Von Ritter ne perdit pas un instant pour tenter de convaincre la jeune indienne à lui indiquer l’endroit précis où elle avait trouvé l’idole d’or. Celle-ci refusa tout d’abord, disant que le « Dieu du Feu » se réveillerait et tuerait le Docteur et elle-même. La jeune fille finit par céder toutefois, grâce à la persuasion du docteur, et aussi parce que ce dernier lui offrit sa montre !
Quelques jours plus tard, les voilà partis tous les deux, en direction du Sangay. Ils suivirent une piste étroite à travers la jungle, jusqu’au pied du volcan. Aussi loin que portait le regard, ce n’était que vide et désolation. Des siècles de coulées de lave en fusion avaient réussi à détruire tout ce qui était vivant. Ils atteignirent la face sud du volcan. Là les précipices à murs verticaux étaient nombreux et atteignaient des hauteurs fantastiques. La piste n’avait souvent qu’un pied de large, un faux pas et c’était la mort certaine. Les ravins étaient innombrables. Une nuit, ils couchèrent dans une petite caverne, à la pâle lueur de la nouvelle lune. Le vent hurlait, lugubre, à travers les canons ; effrayés, ils s’accrochaient l’un à l’autre pour se donner un peu de réconfort.
Très au-dessus d’eux scintillait dangereusement le cône du cratère, à la lumière du soleil matinal. Un épais nuage gris de gaz volcanique s’éleva lentement vers le ciel. El Sangay dormait, mais pour combien de temps ? Quelques heures plus tard, Ahana s’arrêta entre deux gorges énormes, c’était l’endroit où elle avait trouvé l’idole en or. Von Ritter s’aplatit sur le sol et considéra le lieu. Il était certain qu’au-dessous de lui avait existé une fissure profonde. Mais elle était maintenant bouchée, recouverte de lave et de milliers de roches volcaniques énormes. Il se mit à creuser le sol et découvrit un crâne défoncé et une plaque d’or. La boîte crânienne avait été vraisemblablement trépanée. Il se mit à gratter comme un fou le sol sous ses pieds. Il mit à jour d’autres idoles, sans valeurs celles-là, car elles étaient en pierre. La crevasse sur laquelle il travaillait n’avait pas loin d’un kilomètre de long sur plus d’un mètre cinquante de large. De chaque côté, sur des kilomètres, ses flancs descendaient jusque dans les vertes vallées. Sans aucun doute possible, il avait sous les pieds les fameux trésors des Incas
Le trésor du volcan était là, mais l’immense travail pour le mettre à jour était insurmontable. Il aurait fallu des milliers d’heures de travail pour creuser la lave, les rocs pour l’extraire. Sans parler des éruptions mortelles du Sangay… Pour l’instant, le Sangay était en sommeil, mais pour combien temps ? Il en était là dans ses réflexions, amer et résigné à la fois, les yeux sur le cône déchiqueté, enveloppé d’un voile de fumée et de gaz nauséeux. Von Ritter était pétrifié devant les langues de feu qui s’élevaient à des centaines de mètres dans l’atmosphère. Horrifié, il aperçut des fleuves de lave en fusion qui descendaient du cratère dans sa direction. Il chercha du regard Ahana. Elle n’était plus là. Un sixième sens l’avait avertie de l’imminence du danger.
Von Ritter ramassa en hâte ses trophées incas, jeta un dernier coup d’œil aux coulées de lave incandescente qui se rapprochaient atrocement et comme un fou se précipita sur la piste, priant le Seigneur de détourner la malédiction du dieu du Feu. La terreur s’était emparée de lui, il ne songeait plus qu’à sauver son existence. Quand des heures plus tard, il se vit en lieu sûr, à l’orée de la forêt, anéanti, il se jeta sur le sol . Pendant des jours, il erra sans but dans un désert impossible et ce fut par miracle qu’il découvrit une piste qui pouvait le ramener vers la civilisation.
Von Ritter va quitter l’Équateur et la ville de Quito. On l’aurait aperçu en Europe, au volant d’une superbe Rolls Royce. Serait-il retourné plus tard, et discrètement au pied du « Dieu de Feu » qui lui aurait laissé, sinon totalement, du moins une infime partie du trésor du Volcan ?