C’est au Danemark que l’on a trouvé le plus mystérieux, le plus ancien peut-être, trésor de l’antiquité de notre vieux continent, dans la bourgade de Gallehus, endroit ignoré de tous ou presque.
Qui connaît cette bourgade de Gallehus au XVIIe siècle ? Pas grand monde en vérité. Et pourtant elle recelait le plus merveilleux des trésors de l’Antiquité européenne. Et comme souvent, celui-ci fut découvert par le plus grand des hasards. Il était, soit dit en passant, plus mystérieux encore que tous les mystères de trésors de l’Égypte des Pharaons et de Touthankamon, à des milliers de kilomètres de là.
« Elles étaient trois petites enfants » qui n’allaient pas glaner aux champs, comme dans la chanson, mais qui partaient à la ville chez le marchand de dentelles, pour livrer les travaux de la semaine qu’elles confectionnaient, pour le compte de celui-ci. Elles se rendaient ainsi chaque semaine dans la cité de Toender, apportant leurs travaux. A cette époque, à peine au milieu du XVIIe siècle, c’est encore à pied et par les chemins que l’on se rend d’un village ou d’une ville à l’autre. Justement, nos trois jeunes filles sont sur le chemin qui mène à Toender et qui passe par le petit hameau de Gallehus. L’une des jeunes filles, elle s’appelle Kirsten, bute contre ce qui paraît être la racine d’un arbre. Elle pousse une exclamation car elle se rappelle que la semaine précédente elle a failli tomber au même endroit, à cause de cette racine. Comme cette fois elle a un bâton à la main, elle en porte un coup vengeur à l’obstacle. A son grand étonnement, il rend un son métallique. Tandis que ses deux compagnes continuent leur chemin, Kirsten se penche pour examiner cette étrange racine, la dégage en creusant avec ses mains, puis finalement, en s’arc-boutant de toutes ses forces, elle arrive à l’arracher du sol. Elle se retrouve alors avec une corne de métal recourbée entre les mains ; l’objet a plus de 75 centimètres de long et il pèse un poids extraordinaire. Son cri fait accourir ses deux amies. Très agitées, elles examinent la trouvaille, l’emportent jusqu’à un ruisseau voisin, la lavent et font tomber la couche de glaise qui la recouvrait : du métal jaune se met à étinceler, des anneaux apparaissent couverts d’étranges figures gravées.
Les trois dentellières se demandent à quoi peut bien servir cette corne jaunâtre, qui pèse si lourd. Peut-être une trompette en cuivre appartenant à un quelconque musicien ou baladin qui passait par là ? Ou bien encore un clairon d’une armée en manoeuvres ? Pourquoi, puisqu’elle est si lourde et embarrassante, ne pas la jeter à la rivière ? Mais Kirsten préfère la ramener chez ses parents qui aviseront et en sauront plus sur la nature de cette corne.
Ses parents trouvent la corne curieuse assurément mais déclarent qu’elle n’a pas de valeur. Elle se compose de sept larges anneaux détachés les uns des autres, qui ne tardent pas à devenir les jouets favoris des enfants du village qui les sèment un peu partout.
La semaine suivante, au moment où Kirsten va partir comme d’habitude porter sa dentelle à Toender, sa mère lui suggère de prendre un des anneaux pour l’offrir à la femme de son marchand. La dame appartenait à cette classe de riches bourgeois qui tenaient le haut du pavé dans les villes commerçantes. Impressionnée par le poids du métal dont l’anneau était fait, elle demanda à Kirsten de lui apporter toute la corne promettant d’en faire deux chandeliers et de lui en donner un pour sa peine.
Kirsten ramena tous les anneaux épars de la corne. Chez la marchande, le frère de celle-ci trouva bizarre cette corne et voulant séparer les sections, remarqua que le « cuivre » supposé était bien malléable. Il porta l’un des morceaux chez un orfèvre ! La trompette de cuivre était une corne en or massif !
Quand la nouvelle se répandit, toute la ville fut sens dessus-dessous et l’agitation prit des proportions encore bien plus extraordinaires à Gallehus, où la grande corne d’or avait été trouvée. Surtout quand Kirsten revint en annonçant que les enfants du village avaient joué avec la corne pendant toute la semaine.
Entre-temps, les bourgeois de Toender se creusaient la tête pour savoir ce qu’il fallait faire du trésor. On décida finalement qu’il revenait au roi. On décida de désigner Kirsten pour porter la corne mirifique au souverain, qui était à l’époque le roi Christian IV. Quand la petite paysanne arriva dans la ville avec son merveilleux trésor, le préfet qui devait l’attendre pour la présenter au roi n’était pas là et on la persuada de confier l’objet au secrétaire qui lui donna un reçu et la renvoya chez elle.
Pendant ce temps, Christian IV voyageant dans son duché, entendit vaguement parler de la découverte. Il envoya un homme de confiance faire une petite enquête et reçut en fin de compte la corne, expédiée par le bureau du préfet. Elle resta un certain temps en sa possession, excitant l’étonnement et l’admiration, puis il l’offrit à son fils le prince héritier, qui s’intéressait aux antiquités. Ce dernier pensa un moment faire transformer l’auguste relique pour l’utiliser comme corne à boire, mais fort heureusement, la sagesse prévalut et il se contenta de commander un bouchon d’or pour fermer l’extrémité la plus étroite.
Pendant quelques années, elle occupa la place d’honneur parmi ses collections. A la mort du prince héritier, elle revint au souverain et fut placée dans le trésor royal. La pauvre Kirsten, elle, avait été complètement oubliée. Mais au bout de quelques mois, poussée par ses amis de Toender, elle composa une touchante lettre pour rafraîchir la mémoire du roi et la chronique rapporte qu’elle reçut une récompense pour sa découverte, mais garda le silence sur son importance. On lui aurait promis tout ce qu’elle désirait le plus au monde et la pauvre fille, incapable d’imaginer plus grande splendeur, aurait demandé et reçu… une jupe de soie rouge !
… MAIS L’HISTOIRE REBONDIT
La découverte de cette corne d’or avait fait grand bruit et avait amené quantité de monde sur les territoires du hameau de Gallehus. Et puis le temps passa. Près d’un siècle plus tard (le roi cette fois s’appelait Christian VI) une autre découverte dans le même lieu où Kirsten avait déterré la célèbre corne, fut mise à jour. La légende du coup s’amplifia encore. Mais ce n’était pas une légende, seulement l’histoire de Erik, un métayer de Gallehus !
Un soir, le métayer qui avait alors 53 ans, s’en alla, une pelle sur l’épaule, chercher de la glaise dans le triangle de terrain communal délimité par les chemins menant au village.
Moins d’une demi-heure après, il rentrait en coup de vent dans la maison, posait un lourd objet couvert de terre sur la table. L’objet n’était autre qu’une seconde corne d’or. Lorsque sa fille eut bien lavé l’instrument pour le débarrasser de la glaise qui y adhérait, Erik raconta qu’il l’avait trouvé à moins d’une hauteur de pelle dans le sous-sol et toute la famille l’examina avec une curiosité haletante. Il était plus grand que le premier découvert bien qu’incomplet, il pesait au moins une livre de plus.
Comme la première corne trouvée par Kirsten quatre-vingt-quinze ans auparavant, celle-ci était ornée d’une décoration en relief et de plus, elle portait une inscription vers l’ouverture.
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre et au bout de quelques minutes tout le village se pressait dans la maisonnette pour admirer le trésor. Le soir même Erik se hâta d’aller porter sa trouvaille à un orfèvre de Toender qui confirma ce dont il se doutait déjà : cette corne, comme la première, était en or pur.
Erik porta sa trouvaille au Seigneur des lieux, qui décida de l’offrir au roi Christian VI. Elle alla rejoindre sa soeur à la bibliothèque royale de Copenhague. Les deux cornes d’or, les deux cornes qu’on pourrait qualifier « d’abondance », purent faire la joie des visiteurs et des Danois, pendant beaucoup d’années.
C’est au début du XIXe siècle, que le conservateur et ses employés de la Bibliothèque royale, découvrirent que la porte conduisant à la salle où se trouvaient les cornes d’or, avait été forcée. La vitrine brisée et les cornes d’or disparues. Une longue enquête commença sans succès. Ce fut un an après le vol qu’un orfèvre de Copenhague vint signaler à la police des faits qui lui paraissaient suspects.
Un confrère établi dans son voisinage, un certain Nils Heidenreich, s’était trouvé dans de graves difficultés financières l’année précédente, les autres membres de la corporation le savaient ; or, au cours des douze derniers mois, il semblait s’être procuré une quantité d’or considérable.
Les policiers dressèrent l’oreille, Nils Heidenreich n’était pas un inconnu pour eux. Il avait échoué à Copenhague où il n’avait pas tardé à être criblé de dettes et en était arrivé à faire des faux. Condamné à mort en 1788, il était parvenu à faire commuer sa peine en détention à perpétuité. Au bout de neuf ans de prison, il avait été libéré pour bonne conduite et autorisé à s’établir horloger. Après trois jours d’interrogatoires, Heidenreich finit par avouer. Il déclara qu’il avait découvert la possibilité du vol trois ans avant de passer à l’action. Il avait remarqué que l’on pouvait accéder au trésor en passant par la bibliothèque située dans le même bâtiment. Il était parvenu à fabriquer une fausse clé pour la porte de cette salle et quant aux six autres qu’il avait dû franchir dans la nuit pour commettre son larcin, il les avait ouvertes avec la clé de sa propre maison !
Il raconta qu’il avait emmené les cornes dans son atelier où elles étaient restées quelques jours. Pendant l’année, il avait utilisé peu à peu 10 livres d’or dont il avait travaillé la plus grande partie en boucles et en colliers, le reste avait servi à fabriquer de fausses pièces de monnaie.
Heidenreich, condamné une fois encore à détention perpétuelle, ne fut libéré que trente-sept ans plus tard. Il mourut dans la misère ayant passé plus de la moitié de ses quatre-vingt-trois ans en prison.
Voilà que sont disparues les deux cornes d’or de Gallehus. Les cornes d’or du Danemark, joyaux à double titre : pour la teneur en or massif et pour l’immense intérêt historique et archéologique, qu’elle représentaient, joyaux de l’Antiquité des pays du nord de l’Europe.
Pour les chercheurs, les scientifiques ou les historiens, une fois les cornes disparues, il fut indispensable et urgent de réunir tous les renseignements possibles sur elles, de manière à en faire exécuter des copies exactes pour garder au moins leur image à la postérité. On s’aperçut alors qu’il n’en existait aucun moulage au Danemark. Mais des reproductions existaient et l’on pouvait les copier. Seulement l’antiquaire allemand pour qui elles avaient été faites était mort, on avait dispersé ses collections et cent-cinquante ans de recherches dans les magasins d’objets anciens et les greniers de musées à travers toute l’Europe n’ont pas permis de retrouver les plâtres disparus. Ainsi donc, il ne restait d’un des plus précieux trésors européens que les dessins, les mesures et les poids inclus dans les descriptions des cornes publiées après leur découverte.
En s’aidant de ces indication, le roi Frédérik VII fit faire deux reproductions en agent doré et les offrit au muséum de Copenhague où elles sont encore aujourd’hui.
Cela dit, pour quelles raisons, ces cornes d’or ont-elles été découverte dans cette petite bourgade de Gallehus ? On pense généralement que leur existence remonte aux années 400, époque où l’Europe était ravagée par les migrations et les combats, Danois, Wisigoths, Vandales et quelques autres. Mais pourquoi Gallehus, hameau où il ne se passait jamais rien ?
Qui avait déposé, en ce lieu les cornes d’or ? Un dieu Viking de passage ? Un voleur ? Gallehus gardera son mystère encore très longtemps.