Ce démon du métal jaune, aura fait courir, espérer, découvrir et parfois mourir quantité de chercheurs d’or dans le nouveau monde… dans l’Amérique du Nord. Autant d’Eldorados que de désillusions, mais parfois quelques signalés trésors… dont, prudence oblige, on ne parle jamais. Ce qui va suivre est leur histoire.
Tout a commencé lorsque arrive un paquebot, un « vapeur » qui porte le nom de « Portland » à San Francisco. Nous sommes à la fin du XIXe siècle. En 1897 précisément. A son bord, des chercheurs d’or, des chercheurs de trésor. Ils arrivent tout droit du Grand Nord. Les plus sceptiques, des habitants de San Francisco, sont bien obligés d’admettre l’évidence, même s’ils n’en croient pas leurs yeux : les passagers qui descendent du navire, sont cousus d’or. Les plus démunis possèdent des pépites d’une valeur de plusieurs milliers de dollars !
Certains d’entre eux ont même trouvé dans les filons du Yukon, au nord des Rocheuses canadiennes, plus de cent mille dollars d’or ! Prévenue de leur arrivée, une foule immense les accueille sur les quais de San Francisco. Le fabuleux butin a déjà tourné les esprits et les bruits les plus extravagants courent dans les villes de l’Ouest américain.
A partir de ce moment-là, un vent de folie se met à souffler. Le Yukon devient soudain la ligne d’horizon de millions de foyers. La possibilité entrevue de s’en sortir et de changer de condition. Chacun peut, s’il le veut, se ruer vers l’or. D’autant que, selon les arrivants du Yukon, il n’y a là-bas, rien que de l’or, à perte de vue.
A « Frisco », c’est la folie ! Le démon de l’or s’empare de presque tous les esprits. Le Grand Nord (on se croirait dans un roman de Jack London, plus vrai que vrai) c’est le nouvel Eldorado, de toute une population, maintenant décidée à tenter l’aventure.
On va voir toute une population migrer sans attendre, quitter leur emploi, parfois leur famille, leurs petits biens pour aller à la chasse au trésor, commerçants, banquiers, qui pourtant sont par nature prudents comme des serpents, avocats, médecins et même policiers laissent leurs « jobs » pour embarquer au plus vite, vers le Septentrion, vers le Nord, où les attendent les filons. Avant la tombée de la nuit, des centaines de gens ont déjà réservé leurs places pour le Yukon. Dix jours après l’arrivée du Portland, quinze cents personnes prennent d’assaut les neuf bateaux en partance. Les compagnies maritimes se frottent les mains, équipent en vitesse d’autres navires et vendent des billets au-delà de la limite autorisée. Cette ruée vers l’or fera d’autres heureux : les hôteliers qui affichent complet.
Personne ne sait précisément où se trouve le Yukon, personne n’a idée de ce qui l’attend, là-haut, dans la froidure du Grand Nord, mais tout le monde part, confiant en l’étoile du destin. Nul dans cette foule bigarrée d’aventuriers, de chômeurs, de médecins, de fermiers, d’ouvriers, d’avocats, de journalistes, de petits commerçants, d’employés de banque, d’hôteliers, de curés, de joueurs de poker, d’escrocs, d’assassins et de filles de mauvaise vie, nul, donc, ne se pose la question de savoir si l’on trouvera de l’or. Ils en trouveront, on le leur a promis.
La traversée, on devrait dire les traversées, seront rudes. Surpopulations à bord des bateaux, naufrages, pannes de toutes sortes et même un navire explosera, car il avait embarqué à son bord, quantité de dynamite destinée à faire exploser les filons d’or, qu’on allait surement trouver au-delà des montagnes Rocheuses ! Presque tous ces migrants ont tout englouti dans cette aventure. On accoste enfin dans une petite ville, sorte de capitale des futurs chercheurs de trésor : Skagway ! C’est en Alaska ! Et c’est une aubaine pour cette ville, d’accueillir tout ce monde. Pour les habitants de Skagway, c’est du coup une manne tout ce monde qui va consommer, dépenser le peu d’argent qu’il possède encore. Pour eux, c’est un « trésor » en effet que ces milliers de nouveaux arrivants. De fait, il s’est écoulé un an, entre le moment de la découverte de l’or et celui de l’annonce faite à l’Amérique et aussi au monde entier.
Des commerçants et des aventuriers de tout poil déjà établis dans le Yukon, se sont installés à Skagway. Nos arrivants viennent de mettre le pied dans un nid de serpents ! Contrairement à ce qu’ils croyaient, tout le pays était au courant de leur venue et le commerce s’est organisé efficacement, bien que anarchiquement. Le choc est rude : la vie est chère à Skagway bien plus chère qu’à San Francisco. La ville sait offrir aux visiteurs tout ce qu’ils peuvent désirer : magasins, hôtels, saloons, dancings. Ici, le premier arrivé impose sa loi. Si, peu de temps avant l’arrivée des premiers explorateurs la population de Skagway a doublé, la ville comptera vite dix mille habitants, jusqu’à quinze mille au cours de l’été de 1898.
Et les ennuis commencent, pour les nouveaux venus. En effet, les chercheurs d’or doivent affronter un nouvel obstacle, de taille, celui-là : franchir le rempart montagneux qui les sépare du Yukon. Si les cinq cents premiers arrivés ont pu franchir le col de la White Pass à l’automne de 1897 en hiver, il n’en va pas de même pour ceux qui débarquent à Skagway à partir de septembre octobre. A un été torride succède un des hivers les plus terribles que connaîtra la région. L’automne sera meurtrier, à cause des avalanches. Plus tard en plein cœur de l’hiver, le thermomètre descendra souvent aux environs de -40°C.
Après le terrible hiver de 1898, arrivent le printemps, et le dégel tant attendu. L’espoir renaît chez les chercheurs de trésors et de filons si convoités. L’espoir renaît, et plus encore, le flux migratoire augmente. Ainsi en est-il dans le port de Dawson City, autre lieu célèbre, comparable à Skagway : oubliés les mauvais souvenirs, ceux de la White Pass en particulier ! Selon les registres de la police montée, c’est une armada de sept mille cent vingt quatre bateaux contenant vingt huit mille personnes qui accoste à Dawson City au cours du printemps et de l’été 1898.
La ville champignon accueillera deux cents embarcations ! L’arrivée ne marque pas pour autant la fin des déboires… Car l’argent commence à manquer pour ces immigrants enthousiastes et sûrs de leur fait, quand ils sont partis de chez eux. Mais l’or, qu’ils sont certains de trouver, va compenser l’argent, qu’ils sont sûrs de perdre. L’espoir fait vivre. Et puis, quelle imprudence, quelle manque de préparation, pour accomplir un tel périple. Ils sont partis sans avoir préparé le voyage ni consulté de cartes. Ils en subissent les cruelles conséquences, en atteignant le fleuve Yukon, les voyageurs vont affronter des épreuves encore, sur le chemin de Dawson City. Impossible de contourner les rapides de Miles Canyon qui se situent avant le lac Laberge. Les premiers qui s’y aventurent en font l’amère expérience. Ils se heurtent aux récifs ou sont victimes des courants et des remous. En moins d’une semaine, cent cinquante embarcations vont couler. La traversée de quelques centaines de mètres sera suffisamment dangereuse pour que la police montée interdise sous peine d’amende, aux navigateurs non expérimentés de franchir les rapides.
Atteindre à tout prix Dawson City… et de là commencer la traque de l’or… C’est le but des chercheurs. Au bout d’efforts, de sacrifices, d’épreuves de toutes sortes, on parvient enfin à la « terre promise ». Mais, quel n’est pas l’étonnement des arrivants. Au lieu d’une « base arrière » désertique, qui servirait d’aire de repos et de départ pour la chasse au trésor, ils sont surpris de ce qu’ils découvrent. En, effet, la ville n’est pas le coin désertique peuplé de moustiques, de sauvages et d’or qu’ils avaient imaginé. Cinq mille personnes, installées depuis l’hiver précédent, leur souhaitent la bienvenue. Le comité d’accueil a fait assurément bien les choses : comme à Skagway, on propose tous les plaisirs licites ou illicites. Une chambre présumée de luxe coûte 50 dollars. Le tabac, le bacon, les chaussures, entre autres choses, se vendent à des prix exorbitants. La vie est chère à Dawson City.
Cette déception sera ressentie par près de 50 000 personnes venues, croyaient-elles, en terre promise. Alors ces milliers de gens, pour vivre et régler leurs dépenses, vont travailler, transpirer, pour trois fois rien, avec toujours à l’esprit, l’espoir de trouver le trésor, l’or du Yukon ! Car il existe bien, cet or ! D’aucuns en ont trouvé et sont revenus chez eux, les poches pleines de pépites. Seulement voilà : on ne s’improvise pas chercheur d’or, d’autant que, depuis près de deux ans, tout ce que le Yukon comptait de trappeurs et d’aventuriers a mis la main sur les meilleurs emplacements. Pour la plupart, le rêve de puissance se dérobera sous leurs pieds. Il y a bien l’heureux élu qui trouve la grosse pépite et retourne à Dawson City pour dilapider sa fortune dans un saloon en sablant un champagne hors de prix ou dans un casino aux bras d’une entraîneuse. Mais les autres ? Ceux qui regardent avidement les privilégiés croquer leur fortune vite acquise avec une désinvolture et une excentricité qui deviendront légendaires, vivent un mauvais rêve. Il n’y a pas une seule concession de libre sur un périmètre de 150 kilomètres. Quant à ceux (les plus nombreux) qui n’ont plus un sou une fois arrivés à Dawson City, ils vont travailler sur des concessions comme manœuvre à 10 dollars par jour, un salaire de misère par rapport au coût de la vie.
Encore faut-il ajouter à l’amertume générale, un climat épouvantable, les privations, et à cause du surpeuplement, des épidémies de dysenterie et de typhoïde. L’Eldorado a décidément changé de couleurs.
On a changé de siècle. Nous sommes maintenant en 1900. Trois années juste après la ruée de 1897. Trois années depuis qu’à San Francisco, des pionniers étaient revenus du Yukon les poches remplies de pépites. Le démon de l’or, qui avait saisi toute une population, avait bien piégé ceux qui rêvaient de devenir milliardaires.
Le mirage du Yukon s’évanouit en l’espace de trois ans. Les chercheurs ne reprendront espoir qu’en juin 1900, quand ils apprendront qu’on vient de trouver de l’or en Alaska. Sur le champ, huit cents personnes partent, bientôt suivies par de nombreux autres. Dawson City ne compte plus que deux mille habitants.
Le démon est revenu. L’attrait de la richesse, reste le plus fort. Direction le Nord, encore et toujours le Nord ! Et malgré quelques exceptions spectaculaires qui entretiennent du reste les espoirs des traqueurs de trésors, combien de désillusions ?
Mais si vous avez de bonnes relations avec cet impitoyable démon, peut-être vous laissera-t-il une chance… une toute petite chance de goûter au trésor du Yukon.