Par Pierre Delacour
Jusque là, les techniques permettant de fabriquer des contrefaçons de monnaies, nécessitaient un important investissement en terme de matériel et une connaissance technologique importante. L’évolution des technologies de ces dernières années peut permettre, avec finalement assez peu de moyens, de transformer n’importe quel amateur sinon en faussaire, du moins en imitateur de talent. Avec tous les risques que l’on peut imaginer en la matière. Car, ce qui est souvent au départ une simple expérience amusante, pourrait aisément devenir une usine à fabriquer de fausses monnaies de circulation, voire, à l’instar des Chinois, des pièces destinées à tromper des collectionneurs peu avertis.
DES EXPÉRIENCES AMUSANTES…
Si vous cherchez un peu sur internet, vous trouverez aisément des sites vous permettant de créer sans grande difficulté une pièce de monnaie avec votre portrait. Il s’agit d’un simple photomontage, avec un filtre et quelques calques qui vous permettent de créer un effet très réaliste. Un démonstration est d’ailleurs disponible sur You Tube Adren Koch, via le site ratemyfuneral.com qui propose un tutoriel consacré à la création d’une pièce de monnaie réaliste. Outre la modélisation et le « texturing », il aborde le moyen de faire tournoyer de manière réaliste cette pièce à l’aide des dynamiques. Ces technologies permettent de créer sa propre monnaie, à son effigie ou celle de ses amis, sans jamais avoir l’idée de mettre de tels « monstres » en circulation. Il existe même un logiciel dédié, nommé « coin generator » qui est présenté comme « l’outil complet de création de pièces de monnaie, anciennes ou non ». Le Samsung Galaxy Note propose aussi une application nommée « Coin creation ». Plusieurs exemples de réalisations sont présentés, montrant des imitations d’euros, de monnaies celtiques ou de pièces allemandes en argent. Des scanners 3 D sont également désormais disponibles qui vont intégrer à la fois le dessin, mais aussi la texture des surfaces, l’épaisseur, les défauts…
Notez que l’ICOMOS, organisme qui travaille auprès de l’UNESCO pour la valorisation et la restauration du patrimoine culturel, a publié, en 2009, un très intéressant article sur ce sujet (cipa.icomos.org/fileadmin/template/ doc/KYOTO/115.pdf).
… A L’IMPRESSION EN 3 D
C’est l’ultime évolution de ces technologies. Comment ça marche ? Vous créez un objet et décidez d’en produire un prototype en volume. Il « suffit » d’en entrer toutes les caractéristiques sous forme de fichiers informatiques et d’en lancer « l’impression ». Une poudre spéciale est introduite dans la machine, une imprimante 3D, qui grâce au laser, va s’agglomérer et prendre peu à peu la forme désirée. Cette machine peut utiliser tout un panel de matériaux : plastique, pierre, sable, cire, métal, plâtre… A ce jour, cette technologie ne produit que des pièces à usage non intensif, mais l’évolution est en cours vers toutes sortes de pièces. Les applications sont multiples. Par exemple, les militaires sont très intéressés par cette technologie qui leur permet d’imprimer à proximité du champ de bataille et en temps réel, les pièces détachées dont ils vont avoir besoin pour réparer armes, blindés ou véhicules aériens. La médecine s’en est aussi emparée pour fabriquer certaines prothèses à distance. Un site russe nommé 3 D Mint, propose de créer de nouvelles pièces pour ce pays. Plusieurs modèles y sont présentés dont une pièce commémorative spéciale, célébrant le 30e anniversaire de cette technologie portant le portrait de son inventeur, Chuck Hull.
QUEL DANGER POUR NOUS ?
Cette impression tridimentionnelle s’est presque immédiatement confrontée aux questions juridiques liées à la propriété intellectuelle. Elle pourrait rapidement créer les mêmes problèmes de contrefaçon que l’on rencontre en terme de musique ou de cinéma, à cause de reproductions à moindre frais et sans respect du droit de la propriété. La numismatique n’y échappe pas. Dans l’absolu, produire en impression 3D une pièce à votre effigie ou votre logo ne met pas en péril l’économie ni le marché des objets de collection. Mais ainsi reproduire des pièces antiques, rares… devient très aisé. Vous n’y croyez pas ? Pourtant, certains fabricants d’imprimantes 2D ont déjà intégré des logiciels empêchant l’impression de fausse monnaie. Que penser de l’activité d’International Mint, société italienne qui propose ainsi la création de poinçons et de matrices comme de pièces de monnaie en conception 3D ? Double intérêt de cette technique. Tout d’abord, la valeur métallique des pièces de circulation est sans rapport avec leur valeur faciale, en particulier pour les plus grosses coupures. Or, se procurer un modèle type est très aisé. Le reproduire en grande quantité devient désormais très simple. Au début 2014, des reproductions de pièces suisses de 5 francs ont également été découvertes, créées grâce à cette technologie. Et les Britanniques s’inquiètent beaucoup pour leurs pièces de 1 et 2 £. D’ailleurs, en août 2013, un amateur a reproduit toute la gamme des monnaies courantes britanniques en utilisant uniquement les données officiellement mentionnées par la Royal Mint elle-même.
MÊME OBJET POUR LES MONNAIES DE PLACEMENT
En novembre dernier, la presse américaine s’est inquiétée de l’apparition de contrefaçons de pièces et lingotins supposés en or et réalisés par impression 3 D.
Vous allez penser que c’est un peu plus compliqué pour les monnaies de collection, surtout les plus rares. C’est inexact, un article américain récent expliquait que cette technique très avancée peut dérouter même les experts numismates les plus chevronnés. Un tétradrachme d’Alexandre le Grand avait ainsi été dupliqué et était passé entre les mains de spécialistes sans qu’aucun doute n’ait été émis pour finalement être reconnu faux grâce à des analyses métalliques. Qu’en penser ? Pour le moment, il ne nous semble pas utile de s’alarmer de ces nouvelles techniques, encore peu répandues et très coûteuses. Pour des résultats qui restent imparfaits. Par exemple, les délais de fabrication par gravure 3D sont trop longs pour fabriquer des monnaies courantes. Il est tellement plus simple de faire des contrefaçons de masse, à la chinoise, ou à l’italienne, et d’en inonder le marché. D’ailleurs, le but est plus de tromper le grand public, peu méfiant, que de s’attaquer à des numismates avertis qui risquent de tout mettre en oeuvre pour vérifier l’authenticité d’une pièce. On peut néanmoins regretter le bel âge des grands faussaires, qui regravaient des coins à la main, recherchaient le bon métal, façonnaient une surface imparfaite… et arrivaient à tromper les conservateurs des plus grands musées du monde !